Par Damien Caillard

Comment réinventer un territoire ? Surtout quand celui-ci est à cheval entre deux départements, en moyenne montagne, en bordure du Massif Central, alternant petites villes et zones rurales ? C’est le pari du Festival des Naissances. En “pays forézien”, entre Loire et Puy-de-Dôme, de nombreux habitants et acteurs économiques se sont fédérés autour d’un événement en avril 2019, puis d’une série d’initiatives et de rencontres. Leur but : à travers les rencontres, le partage d’idées et l’accompagnement, ils souhaitent concentrer les “énergies vivaces” de leur territoire et le rendre plus attractif, plus agréable et plus facile à vivre, plus respectueux de son environnement unique.


A l’origine est la mobilité

Comme souvent dans les territoires distants des grands agglomérations et axes de transport, la mobilité est un enjeu du quotidien. Une des principales initiatrices du Festival des Naissances est Blandine Chazelle, qui travaille au sein de la Direction Réseau à la SNCF de Clermont. Sa focale : les petites lignes. “J’étais convaincue qu’il y avait quelque chose à faire” résume-t-elle. “Ce n’est pas les mêmes enjeux que la ligne Paris-Clermont.” D’abord, comment ne pas priver de train les habitants de ces territoires ruraux ? Puis, comment leur proposer une mobilité équitable, qui consiste à “rendre possible pour chacun une alternative à la voiture individuelle” ? Cette voiture qui est finalement injuste par nature, trop dépendante des revenus de chacun pour le véhicule, pour l’essence, l’impact environnemental …

Viscomtat, sur les hauteurs de la montagne Thiernoise

Blandine habite à Viscomtat, dans la montagne thiernoise, depuis 2016. Elle a renoué avec ses origines familiales après un long séjour en Ile-de-France. Sur place, elle a monté avec son mari une ferme de plantes aromatiques et médicinales, bio et éco-conçue. “Nous avions une approche ambitieuse [en voulant] limiter la dépendance au pétrole, travailler avec des produits de proximité, réduire les déchets …” Ce projet a pris corps peu à peu, au prix de nombreux renoncements et sacrifices. Mais Blandine voulait faire plus. Pour elle, “venir vivre dans un territoire, c’est y contribuer à la vie locale, au-delà du fait d’y baser son activité”.

“L’innovation, ça ne passe pas que par la technique. Ce sont d’abord des gens ! Mais il faut parvenir à les impliquer” – Blandine Chazelle

Dans les 6 mois de son installation à Viscomtat, la desserte SNCF de la gare de Noirétable a été abandonnée. Une vraie rupture pour Blandine, qui le voyait comme une atteinte au droit fondamental de se déplacer. D’autant plus qu’elle travaille chez SNCF Réseau : “avec la gare, j’ai accès au monde, et le monde a accès à moi” estime-t-elle. “Je ne vis pas le bus de la même manière, par exemple. Je suis convaincue que la gare attire du monde, facilite les transports, est plus lisible que les lignes de bus (…) Nous avons cette impression, au fond de nous-mêmes, d’amputation”.

Et de la mobilité au développement économique, il n’y a généralement qu’un (petit) pas. Comment attirer – des habitants, des investisseurs, des clients – si on habite “au bout du monde” ? “J’ai constaté la difficulté de certains projets à s’installer, à fonctionner sur le territoire” se souvient Blandine. Heureusement, elle avait été formée à l’intelligence collective de par son métier. Pour elle, il fallait “faire les choses ensemble (…) avec un peu de méthode, et une vision différente”

Voir l’interview détaillée de Blandine Chazelle sur le Festival des Naissances :

Faire renaître le territoire

Se constitue alors peu à peu, autour de plusieurs acteurs du territoire, l’idée de lancer une initiative événementielle, un temps fort pour nourrir ces énergies jusqu’à présent disparates. Yaël Nowenstern est présidente de l’association locale Sens de Vie qui accompagne familles et jeunes sur des échanges interculturels. Elle fait partie du noyau initial. Ce qui lui a plu : un projet axé sur la rencontre des initiatives : “C’est un beau territoire avec des engagements multiples et diversifiés. Pour moi, la biodiversité est très riche tant sur le plan de la nature et des cultures.“ Même tendance pour Christine le Fur, fondatrice de l’Etincelle Gourmande et membre des fondateurs du Festival des Naissances : “Le territoire est beau, mais il y a beaucoup de choses à faire. En discutant avec Blandine, et avec Yaël, on s’est rendu compte qu’on pouvait agir, qu’on avait envie d’agir.”

L’Etincelle Gourmande, recréer du lien autour de l’agriculture et de l’alimentation

Interview de Christine le Fur, fondatrice de l’Etincelle Gourmande
 
Nous faisons la promotion de l’alimentation locale. Il y a des potentialités par rapport à l’agriculture, on a un peu peur du devenir par rapport aux fermes pas reprises ou qui se transforment … et en 2013-2014 les étudiants de Vet Agro Sup ont fait une étude sur notre territoire et ont confirmé notre approche.
 
L’Etincelle regroupe producteurs et artisans locaux pour travailler ensemble. Ici, il y a des producteurs : comment les aider (montage d’une épicerie de produits locaux), groupes de réflexion entre producteurs de même type, optimiser les ateliers … et côté consommateurs, on sensibilise (Epicerie), ateliers avec des scolaires, repas mensuels avec des produits locaux … on a aussi un bar, on y fait plein d’animations particulières plus larges (jeux, couture …).

En novembre 2018, le projet événementiel prend réellement forme : trois jours, autour d’un week-end, destiné à tous les publics – habitants, commerçants, institutionnels … pour Blandine, c’était le seul moyen de construire un modèle économique durable pour le territoire. “On voulait un événement avec du sens” insiste-t-elle, “dédié et fait par les gens, avec cette énergie qu’ils dégagent, leur amour du lieu.” Quoi de mieux qu’une fête pour lancer l’initiative ?

Exemple d’événément qui ont émaillé le Festival des Naissances : un concert afro à Viscomtat, le 31 mars dernier.

Le week-end du 30 mars s’est donc tenu le premier Festival des Naissances. Itinérant (entre Loire et Puy-de-Dôme), symbolisant l’énergie du renouveau grâce au printemps, et à partir des initiatives des habitants. “Pour certains, c’était une balade en forêt, pour d’autres des ateliers de travail, du théâtre …” se souvient Blandine. La clé de la réussite pour tous ces acteurs était bien le narratif : comment articuler, relier les histoires entre elles, comment aider les gens à se projeter dans un futur désirable ? “Le Festival des Naissances devait être un moment où chacun pouvait raconter ce qui était important pour lui afin de créer le territoire de demain, en rassemblant les énergies vivaces.”

Une carte des rêves et des rencontres inspirantes

Au-delà des nombreux temps forts du Festival lui-même, une “carte des rêves” a été élaborée. Il s’agit de représenter sur un grand panneau les initiatives – présentes ou futures, d’où la notion de “rêve” – portées par les habitants et acteurs économiques du territoire. “C’est un superbe travail réalisé au niveau de la carte des rêves” s’enthousiasme Christine le Fur. “ainsi que des rencontres avec les porteurs de projets … de très nombreuses thématiques ont été abordées”.

La carte des Rêves (détail), centre de toutes les attentions et représentation de toutes les initiatives sur le territoire.

La carte, qui s’enrichit au fur et à mesure que les initiatives y sont “déposées”, devient itinérante. Affichée dans une mairie, dans une salle commune, dans une bibliothèque, elle permet l’organisation autour d’elle de rencontres inspirantes, comme les Rencontres Apéro mensuelles, ou des temps d’échange thématiques (sur la mobilité, l’alimentation) – toujours itinérants sur le territoire. Ces rendez-vous ont scandé l’agenda collectif des habitants et acteurs de la montagne thiernoise et du pays nétrablais depuis mai 2019.

« Ce sont des projets portés par des personnes extrêmement convaincues », insiste Catherine Redelsperger, écrivain, musicienne et consultante qui a accompagné la mise en forme de la carte des Rêves. « Mais cela pose aussi la question de la fragilité économique de certains d’entre eux, et des moyens qui leurs seront alloués. ». D’où le rôle capital des élus, et le besoin de les sensibiliser à l’ensemble des initiatives fédérées par le Festival des Naissances.

Voir l’interview détaillée de Catherine Redelsperger sur la génération de la Carte des Rêves :

 

Le sentier de la Coche, une expérience de sensibilisation à la forêt

Interview de Yael Nowenstern, fondatrice de l’association Sens de Vie Territoire Patrimoine Transmission
 
« Nous avons expérimenté avec Sens de Vie la création d’un sentier pédagogique, le Sentier de la Coche, au bois de l’Hermitage. Il avait pour objectif de sensibiliser à la gestion durable de la forêt. Le sentier a été co-créé avec tous les acteurs forestiers du territoire, ce qui est un chance car ce territoire est situé dans le PNR Livradois-Forez. La création du sentier a duré 2 ans, durant lesquels on a vécu avec l’écosystème forestier et de ses acteurs, et on a changé nous-mêmes en créant ensemble. Pour moi, c’était une confirmation que la biodiversité dans la nature et dans les cultures est une source de santé pour les humains. »

Au final, une initiative qui est née d’un moment festif au printemps dernier et qui se poursuit sous une autre forme, celle d’un réseau qui se constitue et d’échanges qui se structurent. Une aubaine pour celles et ceux qui veulent faire avancer les choses, comme Blandine : “Le Festival, ça m’a permis de capter les envies, les attentes, les besoins ; de rencontrer des acteurs prêts à bouger, à s’investir, aussi des institutions très variées.”. Ainsi, elle peut alimenter réflexion et action du côté de la SNCF, et pourquoi pas lancer quelques expérimentations spécifiques sur son territoire de coeur.

« On a un territoire très riche, les gens ont chacun des super compétences. Il faut qu’on arrive à les remettre en valeur. On a beaucoup de potentialités. Je suis optimiste ! » – Christine le Fur

Voir l’interview détaillée de Virginie Rossigneux, coach et accompagnatrice d’ateliers collaboratifs lors du Festival :

Margaux Chastenet est graphiste free-lance, fondatrice de Il était une fois l’Auvergne, et habitante du territoire. Rompue aux Uphéros clermontois, elle est à l’origine de l’idée des Rencontres Apéro. “Ici, ça marche bien, en restant proche de ce que j’apprécie dans les Uphéros, et en même temps adapté aux villages que l’on parcourt.” résume-t-elle. “Ca permet autant pour moi que pour les pitcheurs de nous rencontrer. On est vraiment dans la construction d’un réseau.” Si les indépendants peuvent y avoir une approche business, la grande majorité des participants à ces rendez-vous souhaitent découvrir la richesse des initiatives et des compétences sur le territoire.

Voir l’interview détaillée de Margaux Chastenet sur la communication du Festival des Naissances :

Une réunion transversale, à Noirétable, pour décider de la « suite » du Festival des Naissances.

Comment, enfin, permettre à ces initiatives d’émerger et de « passer le cap » de la pérennité ? C’est tout l’enjeu de la stratégie d’accompagnement qui est en discussion en ce moment même. Est-là le rôle du festival des Naissances ? Pas forcément, pour Yaël Nowenstern, qui insiste sur les dispositifs existants sur le territoire, tels que la plateforme Coup de Pouce proposée par le PNR Livradois-Forez autour des initiatives éco-citoyennes. « Le voeu, ce sont des actions concrètes qui produisent de l’auto-financement » selon Yaël. On voit que la chaîne de valeur reste à préciser, mais le Festival a au moins réussi le pari de rassembler et de redonner l’envie d’innover pour le territoire.

Peuvent cependant intervenir des acteurs privés, qui deviennent partenaires du Festival et pourquoi pas de certaines initiatives. C’est l’exemple de la société RI2C et qui a soutenu financièrement la première édition du Festival. Pour son PDG, Pascal Rives, il s’agissait cependant davantage que d’une simple aide au montage de l’événement : « c’est une réflexion qui peut être faite pour délocaliser les entreprises dans les zones rurales. (…) c’est une forme d’aménagement du territoire ! »

Voir l’interview détaillée de Pascal Rives sur le rôle des entreprises en soutien du Festival des Naissances :

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Avec ces échanges structurés, qui prennent de plus en plus d’ampleur, la confiance revient et les projections se font plus audacieuses : mobilité ou non-mobilité ? Travail à distance ? Tiers-lieux ? Innovation territoriale et environnementale … pour Blandine, cette dernière notion est bien présente autour du Festival des Naissances. “L’innovation, c’est la mise en dialogue de l’ensemble des acteurs concernés sur le territoire. Avec l’envie d’entendre autant les collégiens que les élus, les entreprises comme les citoyens, et de travailler en cercles d’échange. Et de dire : on va construire ensemble.”

L’équipe fondatrice a forcément évolué depuis plus d’un an. Des approches ont divergé autour de la communication, de la méthode à employer. Dans l’innovation, cela fait sans doute partie des ajustements inévitables. Blandine reste optimiste et relativise : “On ne reproduit pas à l’identique, on adapte ensemble. C’est l’empathie et la patience que l’on a : on ne juge personne ! On peut être frustré que ça n’aille pas vite, mais il faut accepter là où les gens en sont.”. En décembre 2019, l’association Les Monts qui Pétillent a été créée pour donner un cadre aux futurs développements issus du Festival des Naissances. Rendez-vous en 2020 …


Pour en savoir plus :
Le site du Festival des Naissances


Entretiens et vidéos réalisés par Damien Caillard le 30 mars 2019 puis sur octobre-novembre 2019. Photos fournies par Blandine Chazelle sauf celles du Festival (Damien Caillard pour le Connecteur). Merci à Christine le Fur, Yaël Nowenstern, Margaux Chastenet, Pascal Rives, Virginie Rossigneux, Catherine Redelsperger pour leur disponibilité.