Nathalie Carthonnet#DISPOSITIF #DOSSIERSPECIAL

Auvergne Bio Distribution a été créée à  l’initiative de producteurs et de transformateurs de toutes tailles, des tous petits comme des gros et  soutenue par le Conseil Départemental du Puy de dôme à l’origine, il y a 12 ans. L’idée de cette structure était de réunir tout ce qui est produit en bio sur le territoire pour le rediriger vers la restauration collective (maisons de retraite, établissements de santé, restaurants d’entreprise, crèches, maternelles, collèges, lycées…) Nathalie Carthonnet accompagne le développement de la structure depuis sa création.

Elle nous amène dans l’univers de la restauration collective, ses contraintes, les questionnements qu’elle amène sur le goût, la qualité, la cuisine …

Faut il  [vraiment] s’adapter aux goûts et pratiques du consommateurs ?

Nous sommes dans le bureau des achats d’Auvergne Bio Distribution. C’est aussi celui des commandes clients, avec vue sur la logistique … Pour rentrer dans  l’ambiance qui anime cet endroit un brin survolté, petit appel téléphonique d’un Collège. « Nos élèves ont trouvé le fromage blanc piquant, nous  avons eu des restes importants pour la poubelle »…  C’est Nathalie, la plus expérimentée, qui prend l’appel et cherche à comprendre.

Un problème de qualité ? En fait, le problème, rarement rencontré, vient plus probablement de la référence en matière de goût.  Le fromage blanc industriel a une texture plus onctueuse, la teneur en sucre est plus forte … le goût plus doux. Souvent, il faut prévoir une période d’adaptation pour ces nouveaux produits. On dit qu’il faut tester 7 fois pour habituer le palais. 7 fois !

Pour accompagner cette adaptation, Nathalie Carthonnet va conseiller à la responsable des achats de démarrer par un aromatisé vanille ou de proposer un coulis pour progressivement faire évoluer le goût. Un travail pédagogique de fourmis .

C’est là à la fois toute la difficulté et tout l’enjeu non ?

La pédagogie a toujours autant d’importance,  il y a un très gros travail à faire, parce qu’il y a eu perte de savoir faire dans les cuisines et aussi un éloignement de plus en plus marqués avec ce que mangent les jeunes habituellement. Et ce, malgré tous les discours autour des problématiques de santé publique (diabète, obésité, …) parce qu’on continue d’aller vers plus de sucre, de sel, de graisses, de produits ultra transformés …  Nos produits sont donc très décalés. Parallèlement, on doit l’entendre et trouver des solutions d’autant que les structures qui aidaient à former et sensibiliser etc n’existent plus.

Cuisiner du bio c’est accepter de changer sa façon de faire et de penser.

En fait, c’est vraiment très lié aux cuisiniers, aux équipements auxquels ils ont accès dans leur cuisine, et à l’envie.

Nous avons la championne du monde à Loubeyrat, elle gère la cantine des écoles, celle de la commune et environnantes, et  propose du portage dans les établissements proches, elle fait 360 couverts/jour. Elle a une culture du privé, elle s’auto-motive,  et assure sur tous les aspects : le nutritionnel, la gestion des prix, c’est une très bonne cuisinière, très inventive. Par exemple, elle propose un repas tout blanc, un autre tout avec les doigts, fait découvrir des légumes pénibles en micro bâtonnets … Elle est sans doute un peu extrémiste mais c’est ce qui fait qu’elle soit aussi performante ! Ca et le fait qu’il y ait eu au démarrage une collaboration fructueuse avec un élu très engagé.

Pour preuve, la moyenne française de « retour plateau » (déchets) est de 120g jetés par enfants, elle n’est qu’à 30g. Ça c’est un formidable levier de développement, quand on travaille sur ses déchets, on peut facilement absorber les différentiels de prix du bio. Le plus important, et sans doute ce qui est devenu assez rare, est le souci permanent que l’enfant mange, qu’il apprenne, qu’il prenne plaisir à manger et découvrir.

On n’est quand même pas juste là pour remplir des ventres !

C’est une autre approche que celle qui consiste à calculer des temps de passage et à optimiser en développant les selfs-service par exemple. Les selfs-service sont la solution ultime, ils permettent de gagner du temps donc de diminuer le besoin en bâtiment d’accueil et de réduire les déchets. Et oui, certes, les enfants ne choisissent que ce qu’ils aiment, ne prennent plus d’entrées, ont moins le temps de discuter vu qu’ils se déplacent…  On est loin de la réflexion sur la découverte, la connaissance … On n’est quand même pas juste là pour remplir des ventres !

Les industriels vendent des produits, moi, ce n’est pas comme ça que j’envisage mon métier : il y a l’enjeu de faire travailler les producteurs, donc on ne négocie pas les prix à l’achat, il y a tous les aspects pédagogiques même auprès des producteurs.

Il y a 12 ans le contexte était moins favorable. Aujourd’hui la loi Egalim a fait vraiment progresser le bio, il y a de plus en plus d’unités de restauration collective qui atteignent à 20% de Bio. Notre mission n’est pas d’acheter et de vendre, mais bien de  développer et structurer les filières, à travers l’achat et la vente. Il faut qu’on grandisse avec notre territoire, l’idée est de faire progresser la production. C’est une mission dont on peut voir les résultats avec nos 13 ans de recul. Et aujourd’hui, on constate  qu’on manque de produits qui correspondent à notre client « restauration collective ». En produits bruts, on peut gagner encore un peu mais plus tellement.

Il faut qu’on grandisse avec notre territoire

Donc soit on développe vers de nouveaux types de clients, les magasins ou les restaurants soit on développe vers des produits transformés. Attention, je ne parle pas de transformations industrielles bourrées d’additifs mais de transformer nos produits bruts pour d’autres usages. Les restaurants collectifs ne peuvent pas fabriquer leurs pâtes, leur pain, leur jambon, leurs yaourts, …. Nous avons du lait en Auvergne, on pourrait créer de nouveaux fromages, nous manquons aussi cruellement de charcuteries, c’est un exemple mais il y a un vrai levier de développement si on trouvait un transformateur solide en capacité de produire des volumes conséquents à partir d’animaux de notre territoire. Ce sont des sujets complexes : il y a des transformateurs qui pourraient jouer ce rôle mais il faut aussi des éleveurs et c’est un élevage difficile, peu populaire … Il y a aussi le surgelé : à la pleine saison de certains légumes, en été, il y a beaucoup moins d’activités en restauration collective et finalement, le surgelé de produits bruts peut être une vraie alternative intéressante.

Un atelier de pâtes sèches issues de farine Bio de Haute Loire

Notre plus bel exemple du moment, c’est le GAEC des Rives avec la création d’un nouvel atelier de pâtes sèches adossé à leur activité de culture de blés, avec une belle ambition et des prix réalistes pour notre marché. Ils proposent des pâtes de formes variées, dans des volumes importants, issues de farine de grande qualité, avec un blé de Haute Loire, transformé dans un vieux moulin auxquels ils ont redonné vie.

Ce sont des passionnés, qui proposent un produit de très haut niveau de qualité, en respectant la matière première dans leur process de fabrication pour préserver la valeur nutritionnelle et les qualités organoleptiques. Les pâtes sont un peu plus grises parce que c’est de la farine de meilleure qualité, pas de la T45 basique mais plutôt entre T65 et T80. Tout ça au même prix qu’une pâte industrielle française, alors qu’il n’y en avait plus en bio en France.

Des produits qui demandent de l’attention

Par contre, cet exemple montre aussi à quel point la pédagogie est importante, à tous les niveaux, pour accompagner ces produits. Une pâte industrielle, jetée dans l’eau, on ne s’en occupe plus. Alors que ces pâtes-là, il faut savoir les cuire : le volume et la température de l’eau comptent beaucoup, le temps de cuisson ne doit pas être dépassé etc … Rien de compliqué mais elles demandent juste de l’attention et parfois quand un chef de cuisine rate sa cuisson, il peut incriminer le produit et il faut multiplier les efforts de pédagogie ensuite.

En fait, pour que le Bio prenne tout son sens, il faut des cuisiniers en cuisine : acheter des produits bruts plutôt que transformés, c’est moins cher et meilleur, cuisiner des produits bruts pour les rendre savoureux, c’est réduire les déchets et donc mieux gérer ses commandes. C’est un travail de fond et tellement valorisant pour les chefs de cuisine!

Les déchets, formidable levier

Parfois on s’abrite derrière l’hygiène et la réglementation pour ne pas commander brut, comme pour les œufs, les pommes de terre ou les carottes… mais ca dépend vraiment des établissements. Et aujourd’hui, on en voit qui cuisine, ce sont de nouveaux modèles, qui montrent que c’est possible. C’est encourageant.

Sur la question du prix, il y a beaucoup d’idées reçues positives sur la teneur en valeurs nutritionnelles ou sur la perte en eau des viandes bio qui ne sont pas forcément vraies, où sur les possibilités de réduire les quantités, tout cela peut être vrai mais le vrai point  majeur, c’est la gestion des déchets. Pour réduire ce retour, il y a plusieurs leviers aussi, la construction des menus, les recettes, la cuisine, l’individualisation des portions par enfants et la possibilité de se resservir, …

Si on reprend les chiffres,  120g ou 30g jetés par enfants multipliés par 360 pour l’exemple, ça représente 43kg par jour à la poubelle valorisés en moyenne à 5€/kg … 215€ versus 54€ !

Vous travaillez avec les grandes sociétés de restauration, qui vous ont fait progresser en termes de suivi qualité. Mais vous, les avez vous fait progresser aussi ?

Pas vraiment, en revanche, nous sommes devenus incontournables puisque les donneurs d’ordre (maires, gestionnaires d’établissements…) incluent dans leur cahier des charges d’appels d’offre l’obligation d’intégrer du Bio local… Du coup, les sociétés de restauration ont dû faire  évoluer leur fonctionnement et leur façon de penser pour intégrer nos spécificités.

Quoiqu’il en soit, le fait de déléguer la gestion des cantines à ces groupes pour une mairie n’implique pas un désintérêt.  L’implication du donneur d’ordre détermine le niveau qualitatif. Par exemple, la cuisine centrale d’Aurillac est gérée par Sodexo. Elle fait beaucoup travailler le local (boulangerie,  boucher, … ) développe le bio, les produits bruts …. Les services de la mairie suivent de très près et cela donne un super résultat.

AUVERGNE BIO DISTRIBUTION “ Aujourd’hui nous avons du poids!”

Quelques infos complémentaires

  • Travaille en grès à grès, en direct avec les mairies, les collèges ou les lycées, à travers des appels d’offre et aussi avec Sodexo, Elior, Api Restauration… toutes les chaînes, “parce que, pour nous, le problème n’est pas de savoir par qui ça passe mais bien d’améliorer la qualité des assiettes au bout de la chaîne !”
  • 4 ETP mais la plateforme Auvergne Bio Distribution recrute 2 personnes : un poste achat & un préparateur.
  •  Chiffre d’Affaires:  1.5Millions
  • 70% de ce qui est vendu  est issu de l’Auvergne ; Les 30% restant passent par BioCoop.
  • 200 clients en Auvergne
  • membre d’un réseau Auvergne Rhône Alpes qui en compte 4 autres pour renforcer, mutualiser et  gagner en puissance et en organisation.
  • également membre d’un réseau national qui soutient les négociations avec les grandes chaînes de restauration collective, travaille sur les questions de formations, sur l’échanges de bonnes pratiques.

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