Le sujet de la relance économique, du terme même de relance, de sa remise en question, de ses conditions… alimente les débats de manière constante.  Quelles seront les approches des politiques publiques locales. Vont-elles marquer une inflexion ? Quel pourrait être le premier signal ?

Marion Canales, élue en charge de l’économie et de l’emploi à la ville de Clermont et de l’ESS à la Métropole Clermont Auvergne partage son éclairage.

Marion, sur quels atouts le territoire pourra-t-il s’appuyer pour appréhender l’après-crise ? Quels pourraient en être les leviers politiques ? 

La crise a révélé beaucoup de choses.

Individuellement, des choses qui, je crois et j’espère, peuvent nous amener à changer nos actions, notre vie, notre manière d’habiter le monde.

Elle a aussi révélé quelques vérités collectives…

En tant qu’élu local, s’interroger, c’est interroger le monde, qui finalement, est la somme des territoires.

Aujourd’hui, nous sommes tous encore en train de gérer la crise mais la réflexion sur l’après est aussi engagée : il ne devra pas être ‘comme avant’, le retour à la normale n’est pas souhaité.

La période est particulière. Nous sommes toujours élus donc légitimes à agir, mais entre deux tours des élections municipales, c’est vraiment inédit.

Engager Clermont dans une politique de résilience. Constat, ressources et besoins.

#Définition “Une politique de résilience”

On utilise beaucoup le terme de résilience aujourd’hui. Engager une politique de résilience, c’est d’abord être lucide sur le constat, local notamment. Pour cela, il faut des outils qui vont permettre d’anticiper, d’affronter  et de dépasser. Résilience, c’est REsilier, accepter le changement, RElier, accepter la co construction et REsister, pour dépasser les anciens systèmes et construire nouveaux modèles.

Cela donne un sens particulier au CISCA, le Centre d’Innovation Sociale Clermont Auvergne  créé en 2018, qui est selon moi l’outil central de la politique de résilience. Labellisé French Impact, son action porte sur trois dimensions : le numérique, l’alimentation et la mobilité.

Il faut aussi des ‘outils’ pour établir des constats solides, des ressources intellectuelles et scientifiques multiples (logisticiens, mathématiciens, techniciens, urbanistes, citoyens, …), des ressources économiques et naturelles, des acteurs du numériques, de l’ESS. L’agence d’urbanisme produit déjà des contenus de grande qualité.

Seules, les collectivités ne peuvent rien, il faut qu’elles soient capables de s’entourer et de coordonner les ressources locales.

Quelles sont-elles ces ressources locales  ?

Si on fait l’analyse du contexte local, au regard de cet enjeu de résilience, le territoire dispose de beaucoup d’atouts :

  • des terres fertiles, protégées en partie par la décision de ne plus urbaniser les terres agricoles mais plutôt de refaire la zone industrielle sur la zone industrielle, la ville sur la ville, ce qui en soi est un des prémices d’une politique de résilience. Des terres et une agriculture, cela permet d’envisager de revenir sur des circuits plus courts en matière d’alimentation. Sur ce sujet toujours, il y a déjà beaucoup d’initiatives de l’ESS engagées
  • La Ferme urbaine, (un projet de production maraîchère et d’élevage de petits animaux en plein coeur de ville de Clermont-Ferrand. Le projet a pour objectif de reconquérir les coteaux en friche et produire des aliments sains destinés aux clermontois).
  • Le PAT Projet Alimentaire Territorial (ensemble d’initiatives locales qui sont coordonnées dans une stratégie globale à l’échelle du territoire. Un tel projet sert à travailler sur la reterritorialisation de l’alimentation, à structurer l’économie agro-alimentaire locale, à rapprocher les différents acteurs de la chaîne alimentaire du producteur au consommateur en passant notamment par les transformateurs, les distributeurs ou encore les restaurateurs.)
  • La coop des domes Le magasin coopératif et participatif
  • L’engagement vers le label ‘territoire de commerce équitable’,
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  • Nous avons aussi  un tissu industriel encore significatif, qui s’est d’ailleurs beaucoup mobilisé pendant la crise (parfois en dehors des frontières métropolitaines comme L’Oréal Vichy qui a produit du gel hydroalcoolique, Hermès à Sayat des blouses, Michelin des masques et des visières, Luxfer que nous n’avons eu de cesse de défendre car producteur d’oxygène… ) La présence de Michelin, son outil de production local et ses chercheurs, constitue un énorme atout.
  • En matière d’eau (qui  est un service public à Clermont, l’a toujours été et le restera, ce qui n’est pas si fréquent) ou d’énergie, au travers de l’engagement dans la scic Combrailles Durables ou la démarche Territoire à Énergie Positive

Toutes ces initiatives préexistantes participent de la résilience. 

On le voit les actions, la coordination, les acteurs dépassent le strict territoire métropolitain

Effets accélérateurs de la crise 

Mais cette crise a aussi accéléré certaines initiatives : nous avons testé  des préfigurations de ce que nous voulons pour l’avenir.

Par exemple, pour la question des livraisons, les dispositifs vélo, Urbi, le dernier km …déjà latents

Autre exemple, sur les questions des solidarités, les “brigades mobiles” venues en action lorsque les maisons de quartiers ont dû être fermées,  ont montré leur potentiel positif et pourraient être prolongées. Ou encore de l’urbanisme tactique tel que les aménagements cyclables temporaires et transitoires et ce, en cohérence avec le déploiement de notre schéma de développement des pistes cyclables.

Sur tous ces sujets, l’enjeu au niveau des territoires est d’engager la réflexion, de poser les  constats, pour anticiper,  éviter de subir et amortir les crises. Souvent, on ne part pas de rien  mais de jalons déjà posés qu’il faut amplifier.

La gestion de l’eau sera sans doute la prochaine crise. Déjà, à la fin de l’été 2019, nous avons frôlé la catastrophe, le niveau de stress hydrique était dramatique. Nos travaux habituels d’entretien des réseaux, d’installation, pour éviter les pertes et gérer au mieux la ressource  doivent être complétés par des actions autour d’autres enjeux, notamment selon moi en matière d’agriculture. La métropole ne peut pas, toute seule,  régler le problème, il faut l’aborder de manière globale avec tous les acteurs concernés.

Tous ces sujets sont très complexes, ils nécessitent de la collaboration,  de la pédagogie et de l’expertise

Collaboration: inventer de nouveaux modèles

Le besoin principal aujourd’hui est d’imaginer les nouvelles façons de gouverner. Cela implique de revoir chaque système de fonctionnement, de prendre de la hauteur, de déconstruire les modèles anciens pour en proposer de nouveaux plus propices à la co construction. Les sujets sont trop complexes pour être traités seuls, il faut collaborer.  Tout l’enjeu c’est d’organiser l’écosystème, de favoriser les interactions entre acteurs installés, avec ceux qui émergent … La métropole a besoin d’être accompagnée pour accélérer, trouver les bons partenaires.

Le CISCA peut en être l’outil intellectuel puisqu’il permet de mélanger les univers, l’agence d’urbanisme également pour ne citer qu’eux.

Pédagogie: politique publique et responsabilité individuelle

Il y a ce qui concerne les décisions politiques mais également les prises de conscience individuelles, et la capacité que l’on a en tant que citoyens à adopter une nouvelle façon de consommer ou de vivre. Par exemple,  la mise en place des pistes transitoires a généré dès leurs mise en place des critiques parce qu’elles nuisent à la circulation automobile … tout le monde n’a pas le même degré d’engagement en faveur du vélo, pour X raisons , mais surtout chacun de nous fait parfois des petits compromis avec ses convictions dès que cela touche son propre confort. On veut des vélos et des pistes cyclables mais on veut pouvoir garer sa voiture en bas de chez soi…

Ces aménagements  sont transitoires et permettent le déploiement du schéma  cyclable. En ce domaine, on nous rappelle souvent le retard qui était le nôtre. Je dis bien ‘était’, ceci est aujourd’hui en passe d’être comblé. En un mandat, nous avons pris les décisions qui s’imposaient et mis en oeuvre les actions qui étaient nécessaires. Et puis, j’ai pour habitude de dire que compte tenu de la topographie de notre ville, longtemps le vélo n’était pas une nécessité verbalisée par les citoyens. La pratique du vélo des clermontois et la demande citoyenne s’est accélérée avec le déploiement des nouveaux matériels. Nous aurions pu réagir plus vite. Mais dire qu’on ne fait rien n’est pas juste. Et puis, quand on ne faisait pas cela, on faisait d’autres choix supers, que j’aime rappeler : Clermont a été la première ville en 1995 à mettre en place une aide d’urgence pour les étudiants boursiers pour ne citer que cela ! On oublie souvent les choix et engagements forts lorsque ces derniers deviennent juste des acquis.

Nous avons besoin de débats et, sur le rôle central des services publics, c’est urgent.

L’hôpital  depuis la loi Bachelot, est régi comme une entreprise “à l’activité”.  Ceci doit être déconstruit, ce n’est pas tenable, la crise le démontre ! Je travaille dans ce secteur et je suis toujours effarée de voir nos agents en réanimation, urgences, maternité ou autre service  faire grève en n’arrêtant pas de travailler. L’offre de soins publics vit sur leur engagement personnel. On ne peut plus accepter une telle chose. Pour moi, un nouveau contrat social est urgent.

Aujourd’hui, l’éco-conditionnalité des aides requise par #NousSommesDemain (NDLR Manifeste pour un plan de « relance » d’une économie plus solidaire, durable et résiliente porté par un Collectif des acteurs de l’entrepreneuriat social), existe dans certains de nos outils (notamment d’aide à la création d’entreprises) mais elle doit être élargie.  Les critères d’impacts social et écologique analysés par la Métropole sont un grand enjeu. Pour moi, rien ne sert d’être coercitifs en première intention mais bien de renforcer notre sensibilisation, notre pédagogie.

Cela passe  aussi par l’accès à la commande publique pour d’autres acteurs, d’autres profils,  qui constitue un  formidable levier. Pour cela, plusieurs axes: continuer d’allotir pour proposer des marchés accessibles à des petits acteurs, accompagner et former aux réponses aux marchés publics, comme cela a pu être fait par le service des marchés de la métropole, à certains incubés de Cocoshaker …

Expertises: s’ouvrir et mélanger les univers

Enfin, du point de vue politique, il y a un besoin de s’élever à la hauteur des enjeux du système. Beaucoup de  choses ont été bâties peu à peu. Il faut désormais modéliser, montrer la cohérence de toutes ces actions et les faire monter en puissance pour donner du sens à une nouvelle façon de consommer et vivre et faire vivre son territoire.

Nous avons besoin d’espaces de co-construction et d’intermédiation. De liens et de dialogues entre univers.  

Par exemple, faire que les commissions reçoivent plus d’auditeurs experts pour alimenter leur réflexion. Au niveau territorial, un conseil scientifique ce serait bien mais les élus ont ils le temps de le faire ? Nos conseils communautaires durent déjà 6 heures ! Nous travaillons, nous avons aussi nos vies, nos engagements associatifs, syndicaux…

Il faut que l’administration accompagne les élus et les mélange avec les fonctionnaires, la société civile, les experts … que nos rendez vous dédiés à l’ESS ou la conférence économique que nous avons initiés en début de mandat associent encore plus largement  les professionnels, les scientifiques, les urbanistes… pour booster le travail des collectivités. Il faut investir toutes les politiques publiques: la voierie, les déchets, l’eau, la culture, le sport…car tout porte la résilience.  Pour moi, il est primordial de faire entrer des profils différents dans la collectivité, c’est le cas par exemple d’une thèse CIFFRE actuellement au sein des services économiques. Mais il faut aussi prendre le temps d’expliquer à ces nouveaux profils les process internes. Ce type de partenariat est bénéfique, à condition qu’il  soit compris voulu et accepté par tous, agents, fonctionnaires, chercheurs. Nous devons comprendre les contraintes de chacun, pour  écouter et mettre à profit les apports de chacun . Rien ne pourra être imposé, tout doit être construit et donc accepté.

Les uns et les autres ont besoin de s’ouvrir, de ‘RE lier’, il faut des lieux aussi où ces gens se mélangent …