C’est lors du salon Vinidôme que Stéphane Bonjean, figure reconnue du monde viticole auvergnat, nous a chaleureusement recommandé de rencontrer Jenny Villani. Passionnée par le vin, les terroirs et la gastronomie, elle nous propose un état des lieux éclairé sur la consommation des vins d’Auvergne en France.

Avant de plonger dans le vif du sujet, pourriez-vous nous parler de votre parcours ?

Originaire du Sud-ouest, j’ai posé mes valises en Auvergne il y a 22 ans. Mon itinéraire professionnel s’est essentiellement déroulé dans l’hôtellerie-restauration, où j’ai endossé diverses casquettes : commerciale, gouvernante, responsable d’un restaurant… Cette expérience m’a offert une vision holistique du fonctionnement d’un hôtel et d’un restaurant. À 33 ans, j’ai choisi de me spécialiser en sommellerie à Chamalières.

Initialement, mon objectif était d’ouvrir un bar à vins dans les montagnes auvergnates. Cependant, au fil des interviews et des enquêtes de métier nécessaires à l’intégration de ma formation, j’ai découvert la profession d’agent. Ce rôle me permettait d’établir un lien direct à la fois avec les clients et les vignerons.

Le métier d’agent est souvent méconnu. Pouvez-vous nous en expliquer les contours ?

À la différence d’un grossiste qui achète, stocke et revend la marchandise, un agent détient un contrat de représentation précisant sa clientèle et son secteur d’activité. Ainsi, ce sont les vignerons qui facturent et livrent directement. Notre mission consiste à encourager les clients à se procurer les produits des vignerons que nous représentons, en s’appuyant sur des fiches techniques et des échantillons pour présenter les différents vins.

Cette approche permet aux vignerons de maîtriser leurs circuits de distribution et d’identifier clairement leurs clients finaux. Par exemple, les vins de mes clients ne se retrouvent pas dans la grande distribution, mais exclusivement dans les hôtels et restaurants ainsi que chez les cavistes.

Nous opérons selon un système de cartes. Une carte représente un contrat avec un vigneron ou un domaine dans un secteur géographique défini.

Vous représentez à la fois des vins auvergnats et d’autres provenant de différentes régions viticoles…

Effectivement, je suis agent pour sept vignerons auvergnats dans le Cantal et le Puy-de-Dôme. Dès le début, il était primordial pour moi de les représenter. J’ai ainsi créé un dépôt et je sous-traite les livraisons, leur évitant des livraisons hebdomadaires.

Depuis mon installation il y a 6 ans, j’ai observé une nette évolution de la demande. Autrefois, il était effectivement compliqué de promouvoir l’achat de vins d’Auvergne dans les bars ou restaurants des zones urbaines, la consommation étant principalement centrée autour des sites touristiques.

Il y a 4 ans, j’ai remarqué un intérêt croissant pour ces vins, qui commençaient à se positionner comme des alternatives sérieuses aux productions d’autres régions viticoles.

Comment expliquez-vous ce changement dans les habitudes de consommation ?

Un travail considérable a été réalisé autour de l’appellation Côtes d’Auvergne dès 2010. Les équipes ont été renouvelées et ont intensifié leurs efforts, tant sur le plan environnemental que dans les méthodes de vinification. L’élevage en barrique s’est développé, et l’introduction de nouveaux cépages a permis d’enrichir l’offre.

De plus, des événements tels que Vinora ont offert une mise en valeur différente des productions, soulignant la spécificité du terroir volcanique. Cela a conféré une dimension supplémentaire aux vins, les rendant comparables à ceux d’Italie ou de l’Oregon, également produits sur des terroirs volcaniques.

Grâce à l’IGP Puy-de-Dôme et à un cahier des charges assoupli, les vignerons ont pu introduire d’autres cépages et assemblages, élargissant ainsi la gamme des vins proposés.

J’ajouterai que les vins auvergnats gagnent en visibilité lors de grands concours et sont régulièrement cités dans des guides renommés tels que le Hachette et le Gault et Millau. Cela renforce leur légitimité et contribue à leur valorisation.

La consommation de vin en France est-elle en baisse, comme on l’entend souvent ?

Oui, depuis la pandémie de Covid-19, la préférence pour le télétravail a significativement impacté la fréquentation des restaurants le midi, et par extension, la consommation de vin.

Nous constatons également que les clients des bars et restaurants recherchent des cartes de vins au verre plus étoffées. Les établissements proposant une telle diversité, ainsi que des demi-bouteilles ou des pots lyonnais, semblent tirer leur épingle du jeu. Cependant, pour offrir des vins au verre de qualité, il est crucial de disposer d’équipements adaptés pour leur conservation. À titre d’exemple, l’Antre de Dionysos à Clermont-Ferrand a investi dans un appareil permettant de proposer une sélection de 32 vins.

On entend également que ce sont plutôt les jeunes qui optent pour le vin “local”…

En effet, les jeunes générations présentent moins de réticences et sont plus enclines à la découverte. Avec la démocratisation du vin à l’apéritif, elles sollicitent fréquemment des conseils pour sélectionner un vin correspondant à leurs goûts.

La demande pour les vins blancs et rosés s’est par ailleurs intensifiée. Si le rosé était traditionnellement perçu comme un vin estival, les cavistes en commandent désormais tout au long de l’année. Quant au blanc, bien que sa production ait été fortement affectée par les aléas climatiques ces dernières années, le Chardonnay semble promis à un bel avenir en Auvergne.

Il convient de noter l’existence de cinq micro-terroirs au sein de l’AOP Côtes d’Auvergne, spécifiques aux vins rouges et rosés. Le cru Boudes se situe à 14 km au sud d’Issoire, suivi du cru Corent en rosé près des Martres-de-Veyre. En remontant vers le nord, on trouve le cru Chanturgue sur les hauteurs de Croix-Neyrat, le cru Châteaugay et enfin le cru Madargue près de Saint-Bonnet-près-Riom. Il n’existe pas encore de cru pour les vins blancs, mais cela représenterait une opportunité formidable pour valoriser davantage des vins de qualité.

Observez-vous des innovations du côté de la production ou de la commercialisation ? Quand verrons-nous des vins d’Auvergne en canette ?

La redécouverte d’anciens cépages constitue une tendance marquée, que l’on retrouve également dans d’autres régions viticoles. Elle représente une façon de préparer l’avenir.

D’autre part, l’approvisionnement en bouteilles en verre devient un enjeu majeur pour les vignerons. La situation se complique particulièrement pour les formats tels que les magnums ou les demi-bouteilles. Les retards de livraison entravent la mise en bouteille avant mai ou juin. Le coût du verre, à l’instar de celui du transport, ne cesse d’augmenter, conduisant à une hausse généralisée du prix des bouteilles. Il devient nécessaire de trouver de nouvelles solutions.

Concernant les contenants innovants, bien que le bag-in-box gagne du terrain, il demeure relativement confidentiel en Auvergne. Quant aux canettes, je ne pense pas que les vignerons aient déjà opté pour cette alternative.

C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter ? 

Le regroupement des régions offre une véritable chance pour les vins auvergnats. J’ai perçu un intérêt croissant pour les produits issus de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Un sentiment d’appartenance se développe, favorisant la présence des vins d’Auvergne dans des établissements en Haute-Savoie, par exemple. Cette nouvelle identité régionale représente une opportunité significative à exploiter.