Elles sont toutes engagées à leur manière dans la lutte pour les droits des femmes. Elles sont chercheure, étudiante, cheffe d’entreprise ou conseillère au Conseil Economique Social et Environnemental. Ces femmes apportent chacune un regard complémentaire sur un sujet brûlant. Elles partagent avec nous leur vision d’un monde plus juste et égalitaire.

Nos invités de « Regards sur les droits des femmes en France ».

Delphine Martinot : Professeure des Universités en Psychologie Sociale, chercheure Comportements sociaux et dynamiques collectives au sein du LAPSCO

Pauline Hut : membre du collectif étudiant Femmes de mars

Nicole Barbin, cheffe d’entreprise et Présidente de l’Association Femmes Leaders Mondiales

Agathe Hamel : Conseillère au CESE, Présidente de la Commission aux droits des Femmes et à l’égalité

Quel état des lieux faites-vous de l’évolution des droits des femmes en France ? A l’international ?

Delphine Martinot : En France, je noterais l’accent mis sur la lutte contre le sexisme en général avec les actions du Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes. Notamment, sur la lutte contre les violences sexistes et sexuelles avec des évolutions positives comme les cellules d’écoute (c’est le cas à l’université Clermont Auvergne au sein de laquelle je travaille). Mais il reste beaucoup à faire en donnant plus de moyens (financiers, d’action, …) aux différentes structures dédiées à cette lutte.

A l’International, les droits des femmes continuent de régresser dans de nombreux pays, comme le démontrent, entre autres, la répression sanglante des manifestations contre le port du voile obligatoire en Iran, ou la suspension de l’enseignement universitaire pour les femmes en Afghanistan.

Pauline Hut : Ce que je remarque, c’est qu’il y a beaucoup d’associations et de collectifs qui se créent et qui se battent pour les droits des femmes en France. Je suis admirative du travail du compte insta « Préparez-vous-pour-la-bagarre » qui fait un énorme travail de veille sur la manière dont les médias traitent des faits de violences sexistes et sexuelles. Mais également d’Anna Toumazoff qui est à l’origine entre autres du hashtag « double peine », qui met en avant les difficultés pour les femmes de porter plainte pour des faits de violences sexuelles. 

Grâce à toutes ces actions militantes, j’ai la sensation qu’il y a des avancées en France. À l’international, j’ai une pensée pour les femmes en Iran qui se battent pour leurs droits et pour les femmes d’Afghanistan et des USA qui sont en train de les perdre.

Nicole Barbin : En France les femmes progressent et elles occupent maintenant des postes de plus en plus représentatifs mais elles sont toujours minoritaires dans les postes de décisionnaires et gestionnaires et toujours inégales face aux rémunérations et aux carrières.

Agathe Hamel : Les droits des femmes ont plus progressé ces 50 dernières années qu’en 2000 ans d’Histoire. On vient de loin, et la route est longue ! La révolution historique de #Metoo continue d’œuvrer dans les sphères les plus intimes de notre société. Elle provoque des bouleversements, des renversements, et le besoin d’établir de nouveaux codes relationnels entre nous.

Au niveau politique, on assiste à d’avantage de prise de parole sur ces enjeux, qui ne peuvent plus être sciemment mis de côté, à minima de manière déclarative. Néanmoins, cette prise de conscience ne s’accompagne pas toujours d’une réponse claire de notre système judiciaire et de notre modèle social. A mon sens, la mise en action collective est insuffisante et manque d’ambition.

Quel fait marquant retenez-vous de 2022 ?

Delphine Martinot : C’est un fait extrêmement négatif symbolisant le fait qu’il faut toujours se battre pour les droits des femmes. Quand la Cour suprême des Etats-Unis revient sur l’arrêt Roe vs Wade et laisse les états américains libres d’interdire l’IVG.

Pauline Hut : En France, il y a eu une mesure marquante pour moi, c’est le droit à l’IVG qui est entré dans la constitution. Mais il y a aussi eu Gérald Darmanin, de nouveau ministre de l’intérieur alors qu’il fait l’objet d’accusation de viols.

Nicole Barbin : La pandémie du covid-19 a fait ressortir les inégalités structurelles qui existent, santé, économie, sécurité, protection sociale, en particulier dans les secteurs les plus mal lotis de notre société : les caissières, les agents d’entretien, les enseignantes. Les acquis des femmes se sont trouvés menacés et on risque de perdre en un an de pandémie des décennies de progrès en faveur de l’égalité femmes-hommes.

Agathe Hamel : Malheureusement cette année 2022 ne s’illustre pas par ses grandes avancées en matière d’égalité entre les femmes et les hommes. Entre la situation des femmes en Iran, en Afghanistan, en Tunisie, en Hongrie, en Ukraine, en République Démocratique du Congo… Partout où les conflits s’étendent, les femmes en sont les premières victimes. Les régimes conservateurs ont le vent en poupe, et n’ont aucun scrupule à suivre leur agenda liberticide.

On peut citer la terrible décision de la Cour suprême Etats-Unis d’annuler l’arrêt qui garantissait l’accès à l’IVG aux états-uniennes sur tout le territoire. Cette décision montre à quel point les droits des femmes ne sont jamais acquis. Malgré les avancées, ces droits restent précaires et soumis à ces contextes politiques dégradés.

Quels sont pour vous les principaux combats à mener aujourd’hui et demain ?

Delphine Martinot : Il faut former et informer sur les effets permanents des stéréotypes de genre dans notre perception d’autrui, car nous n’en avons pas conscience. Par exemple, si l’on montre à des adultes une photo de bébé qui pleure, selon le prénom féminin ou masculin associé à cette photo, les adultes vont interpréter différemment les pleurs du bébé. Femmes comme hommes vont interpréter ces pleurs comme un signe de tristesse ou de douleur quand le prénom est féminin. Alors qu’ils sont perçus comme un signe de colère ou de faim quand le prénom est masculin. 

Etre conscient·e des effets des stéréotypes de genre dans notre vie quotidienne est une première étape pour essayer d’être vigilant·e et de moins les appliquer (sans le vouloir) aux enfants et personnes qui nous entourent.

Pauline Hut : Il faut plus de volonté politique et plus de moyens mis dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Également plus de moyens dans la protection de l’enfance, que l’on arrête de protéger des personnes accusées de viols et d’agressions sexuelles. En France, 1 enfant sur 10 est victime d’inceste et 73 % des plaintes sont classées sans suite. Les procédures judiciaires sont trop lourdes et accablantes pour les victimes tandis qu’elles sont trop laxistes pour les agresseurs. 

Il y a aussi un vrai besoin d’éducation, de formation contre les violences sexistes et sexuelles, dans les écoles, mais aussi le monde professionnel. Il faut dispenser des cours d’éducation sexuelle incluant de l’éducation au consentement et au plaisir féminin.

Nicole Barbin : En premier, la lutte contre la violence des hommes. Une plus grande participation politique des femmes dans la société. Une même exposition médiatique aux femmes qu’aux hommes. Une modification de l’éducation en développant chez les femmes et les enfants la liberté personnelle et le développement indépendant. Ces combats sont très nombreux mais ils trouvent tous leur solution dans l’autonomisation économique des femmes.

Agathe Hamel : Le principal combat pour moi, il est du côté des hommes. On n’arrivera pas à protéger la moitié de l’humanité si on n’accompagne pas l’autre moitié à remettre en question son fonctionnement. Il faut absolument qu’on arrive à mieux identifier les causes structurelles des violences masculines, et agir à la racine. Sinon comment expliquer que dans 96% des cas les incesteurs sont des hommes ? Qu’ils sont à 97% les auteurs de violences sexuelles ?

Ces comportements ne sont pas « naturels », ils sont issus d’une construction culturelle ancrée si profondément qu’on la croit inéluctable. Cela nous déresponsabilise en tant que société sur cet enjeux majeur. Les hommes doivent cesser d’être destructeurs et violents, pour les autres, pour eux-mêmes et pour la planète. Trop peu d’actions vont en ce sens.

I have a dream … à quoi ressemblerait une société égalitaire ?

Delphine Martinot : Que l’on soit une fille ou un garçon, il n’y aurait pas de prescriptions sociétales sur les jouets à utiliser, les vêtements à porter, les rôles à jouer, … Que l’on soit femme ou homme, les questions qui nous seraient posées sur la façon de mener notre vie professionnelle seraient les mêmes. (voir cette vidéo). Ainsi de suite pour plein de situations. En résumé, ce serait une société dans laquelle les différences biologiques entre les femmes et les hommes ne seraient pas perçues comme déterminantes de différences de fonctionnement cognitif. Les neurosciences démontrent qu’il y a plus de différences cognitives chez les femmes entre elles et chez les hommes entre eux que de différences intersexes.

Pauline Hut : Dans une société égalitaire, les hommes et les femmes auraient les mêmes opportunités. Ils pourraient accéder aux mêmes métiers et aux mêmes salaires. La charge mentale du foyer, de la famille, du couple, serait équitablement partagée. Les hommes effectueraient leur part de travail domestique. Les femmes pourraient se promener seules dans la rue à n’importe quel moment de la journée, sans craindre de se faire agresser. Les lieux festifs seraient des espaces safe pour les femmes. Les hommes seraient éduqués pour ne pas devenir des agresseurs.

Nicole Barbin : La liberté d’accès aux mêmes droits pour tous les individus d’une même société. Une école et un enseignement permettant un épanouissement des enfants et de la famille. Une rémunération égale entre hommes et femmes pour un même travail. Le travail domestique réparti entre les femmes et les hommes. Et une égalité dans la représentation dans les sphères de pouvoir.

Agathe Hamel : Une société égalitaire c’est une société plus heureuse et plus fonctionnelle. Mais comment apprendre à désirer quelque chose qu’on ne connait pas ? C’est là où les artistes ont un immense rôle à jouer. Pour inventer des nouveaux récits, nourrir des désirs, des manières de penser le monde et notre place au sein de celui-ci.

Ce qui est certain, c’est qu’une société égalitaire n’aura jamais fini de travailler à maintenir son équilibre ! C’est une ligne de crête fragile dont on doit prendre soin, et qui nécessite une rigueur permanente dans nos actions. Cela ne veut pas dire une société sans conflit, mais des mises au débat qui ont pour objectif de se faire avancer et faire avancer les autres, pas les coincer. C’est fatiguant au début, mais plus on apprend, mieux on sait comment faire.

Carte blanche, quelque chose à ajouter ?

Delphine Martinot : Je le redis, il faut lutter contre les stéréotypes de genre qui jouent un rôle crucial dans l’émergence et le maintien de toutes formes de sexisme. Cela va des blagues sexistes aux féminicides. Ensemble, femmes et hommes, soyons attentifs et attentives à ce que nous penserons la prochaine fois que nous verrons un garçon ou une fille pleurer ou à l’inverse être agressif·ve. Il y a de grandes chances que nous ayons d’abord une interprétation biaisée par les stéréotypes de genre de ce comportement et donc différente selon le sexe de l’enfant. Mais si nous exerçons une vigilance sur notre première pensée, alors nous pourrons la corriger.

Pauline Hut : Il y a beaucoup d’associations et de collectifs qui agissent sur ces thématiques sur Clermont-Ferrand. N’hésitez pas à venir prêter mains fortes. Le Collectif Femmes de Mars propose une super programmation tout au long du mois de mars autour de l’égalité et de l’inclusivité. Au programme : des cercles de paroles, conférences, ateliers, un stage de théâtre autour des violences sexistes et sexuelles le 11 mars et un évènement de stand up queer le 23 mars.

N’hésitez pas à vous inscrire et à participer à ces évènements. Il y a également un nouveau collectif qui vient de se créer, il s’appelle « Nomeansno ». Il a notamment fait venir le collectif « Payetontournage » lors du festival du Court-métrage, n’hésitez pas à suivre ce collectif sur Instagram et à participer aux évènements.

Nicole Barbin : 1. Faire en sorte que les budgets non attribués aux partis politiques qui n’ont pas respecté la parité soient utilisés pour aider les femmes qui souhaitent faire une carrière politique ( par exemple en formation). 2. Créer, dans chaque Ministère, une cellule dédiée à l’égalité qui serait à même de faire des propositions dans le cadre de tous les projets de lois. 3. Promouvoir le contrat de travail solidaire qui permettrait l’acquisition de droits propres pour le conjoint non rémunéré avec toutes ses applications salariales sur la base du SMIC.

Agathe Hamel : Je suis alarmée par les attaques des mouvements conservateurs et masculinistes qui réagissent ultra-violemment dès que les droits des femmes ou des minorités connaissent des avancées. Que ce soit en France ou à l’international, on assiste à un phénomène de backlash qui n’augure rien de bon si on n’en prend pas la mesure très sérieusement. Pas plus tard que cette semaine, le planning familial de Bordeaux a été attaqué pour la seconde fois en un mois par l’extrême droite.

Je n’en peux plus d’entendre des personnes continuer d’avancer « qu’on a gagné l’égalité » ou bien qu’on aura réussi quand « on aura plus besoin d’en parler ». Je crois au contraire que la vigilance doit être organisée et permanente, et pour ça, il faut absolument soutenir et protéger les associations et mouvements féministes.

De la même manière qu’on peut accompagner les filles et les femmes à s’émanciper des carcans sociaux aux sources centenaires, les garçons et les hommes peuvent apprendre à travailler pour et désirer des relations apaisées entre eux et avec les femmes. C’est un des enjeux majeurs des prochaines décennies, car je suis persuadée qu’il est éminemment lié à la prise de soin de notre planète.