Claire Planchat a tissé au fil des années un parcours qui lui ressemble. Elle s’est passionnée pour les sujets environnementaux et les processus participatifs. Aujourd’hui, elle collabore au sein du projet Plan’eat. Comment accompagner les territoires vers des systèmes alimentaires durables ? Grâce à un Living Lab inédit, l’équipe auvergnate va pouvoir étudier les comportements alimentaires, notamment des jeunes, pendant quatre ans.
Parlez-nous de votre parcours.
Claire Planchat : Je suis née à Clermont-Ferrand. Dès mon plus jeune âge, j’ai été sensible à la nature et à sa préservation. Après avoir décroché un bac à Marmilhat avec une option en écologie, j’ai continué par un BTS en gestion et protection de l’environnement. C’est mon séjour au Burkina Faso qui m’a poussée à reconsidérer la relation de l’Homme à la Nature.
Par la suite, j’ai intégré une école d’ingénieur spécialisée en sociologie de l’environnement à Marseille. Pour financer mes études et nourrir mes passions, j’ai occupé divers stages et emplois saisonniers, centrés sur l’éducation des enfants aux défis environnementaux. En parallèle, j’ai pratiqué la danse, le théâtre et le dessin. Très rapidement, j’ai souhaité intégrer ces expressions artistiques dans mes ateliers, car l’art apporte une dimension que la démarche scientifique traditionnelle ne peut saisir.
Aujourd’hui, en y repensant, je réalise que mes motivations personnelles et professionnelles ont toujours gravité autour du développement durable et de l’approche participative. Comment engager activement les populations pour co-construire des solutions face aux enjeux environnementaux ?
Lors de nos échanges, vous avez mentionné que j’ai toujours privilégié des études professionnalisantes pour intégrer rapidement le monde du travail. Cependant, la réalité fut différente…
Claire Planchat : Oui. J’ai brièvement travaillé au sein du Conseil régional d’Auvergne, sur les politiques publiques environnementales, mais je n’y ai pas trouvé ma vocation.
J’ai donc choisi de poursuivre mes études avec un Master 2 (anciennement DEA) en Géographie Humaine à Clermont-Ferrand. Souhaitant m’orienter vers la recherche-action, j’ai décroché un stage au sein du Parc Régional Naturel des Volcans d’Auvergne. Mon travail s’est concentré sur les politiques publiques du paysage, en particulier sur les chartes architecturales et paysagères. Ces documents, d’une qualité remarquable et souvent élaborés en collaboration avec les résidents et les élus, restent malheureusement négligés et se retrouvent au fond d’un placard. J’ai essayé de comprendre pourquoi.
Et à ce moment-là vous vous lancez dans une thèse sur six ans…
Claire Planchat : À l’origine, je n’avais pas envisagé de réaliser une thèse. Mais, lors d’un concours de circonstances assez incroyable, l’opportunité s’est présentée.
En postulant pour un emploi, j’ai contacté Sylvie Lardon de l’UMR Territoires à Clermont-Ferrand. Au même moment, Yves Michelin, chercheur pour le site UNESCO Chaîne des Puys – Faille de Limagne et membre de mon jury de DEA, était dans son bureau. Il avait obtenu un financement pour une thèse, mais le candidat initial s’était désisté. À la fin de cet échange téléphonique, je suis devenue une future doctorante, encadrée par deux directeurs de thèse passionnés par le territoire et les démarches participatives.
Finalement, après six ans de thèse, avez-vous trouvé votre Ikigai ?
Claire Planchat :; Oui. J’ai compris que je recherchais des projets porteurs de sens plutôt qu’une carrière ou un poste spécifique. Mon ambition était de servir d’intermédiaire entre la recherche et les populations. Face à l’absence de postes correspondant à cette vision, j’ai décidé de créer mon propre métier. Trois jours seulement après avoir soutenu ma thèse, j’ai lancé mon entreprise.
J’ai continué en tant que chercheuse-associée à l’UMR Territoires, proposant diverses méthodes pour aider les chercheurs à rendre leurs travaux accessibles au grand public. Mon objectif était également de permettre à d’autres acteurs d’adopter les outils de la démarche scientifique pour leurs propres initiatives participatives. En fin de compte, je m’efforce de vulgariser la science en utilisant notamment l’art et les démarches participatives et ludiques pour faciliter les discussions sur l’aménagement des territoires ruraux et la conservation de l’environnement.
Si nous discutons aujourd’hui, c’est parce que vous avez récemment lancé la démarche participative Plan’eat ? Pouvez-vous nous la présenter brièvement ?
Effectivement. J’ai été sollicitée par Anthony Fardet, chercheur à l’INRAE, pour un projet européen de recherche-action. L’objectif est de créer un dialogue entre les différentes parties prenantes des territoires du Projet Alimentaire Territorial du Grand Clermont et du Parc Naturel Régional du Livradois Forez.
Cela inclut les éducateurs, la société civile, les décideurs publics et politiques, les professionnels de santé, les industriels de l’agro-alimentaire, les commerçants et agriculteurs, et les chercheurs locaux. Ce projet place les enfants âgés de 6 à 15 ans au cœur de la démarche. Il s’agit d’une initiative qui englobe le local et l’Europe, reliant la production à la consommation, et qui incarne tout ce qui m’a toujours animée.
Et plus précisément, quels sont les objectifs de Plan’eat ?
Plan’eat se structure autour de quatre axes principaux :
- Études des comportements : Grâce à un Living Lab, nous analyserons de manière scientifique et participative les comportements alimentaires à fort impact et leurs déterminants. Cinq comportements ont été identifiés à partir de recherches : la consommation de boissons sucrées, de céréales raffinées, de légumineuses, de produits animaux et d’aliments ultra-transformés.
- Le Living Lab : C’est le cœur du projet. Il vise à impliquer toutes les parties prenantes : agriculteurs, élus, industriels, restaurateurs, directeurs de supermarchés, familles, etc. C’est l’aspect le plus crucial et le plus complexe à mettre en œuvre, car il nécessite des échanges sur le long terme et l’engagement de nombreux acteurs.
- Le projet européen : Il regroupe 11 pays européens et 9 Living Labs. Son but est de fournir trois types d’outils : une étude sur les coûts environnementaux et sanitaires de ces comportements alimentaires, des recommandations basées sur les actions des Living Labs à présenter au Parlement européen, et le développement d’outils méthodologiques pour mettre en place des processus participatifs. Ces processus sont multi-échelles et multi-acteurs, ce qui les rend particulièrement complexes. Grâce à nos travaux, nous espérons inspirer d’autres initiatives sur différents territoires.
- La continuité : Une fois les phases de concertation terminées, comment les différentes parties prenantes continueront-elles à réfléchir et à agir pour transformer durablement les systèmes alimentaires territoriaux ?
Vous venez d’organiser la première réunion de Plan’eat. Quels ont été les principaux sujets de discussion ? Y a-t-il des premières pistes d’actions qui émergent ?
Claire Planchat : Pour ce lancement, nous avons invité des participants de tous âges, de 5 à 99 ans. Une cinquantaine de personnes ont pris part à notre atelier « Fresque Plan’eat de l’Alimentation saine et durable », inspiré du modèle de la fresque du climat, mais avec notre propre jeu de cartes. Les groupes étaient composés de différents acteurs : adolescents, directeurs de supermarchés, responsables industriels, parents, enseignants, etc. L’une des particularités de cette fresque est que les joueurs étaient eux-mêmes des parties prenantes, ce qui leur a permis de proposer des pistes d’action pour améliorer les comportements de chacun.
À la suite de ces échanges, un groupe de travail composé d’associations de sensibilisation à l’environnement va collaborer pour renforcer leurs actions. Il a également été souligné la nécessité de poursuivre l’observation participante du travail initié entre Clermont Auvergne Métropole et le réseau des cuisiniers des cantines scolaires. Par ailleurs, plusieurs écoles se sont portées volontaires pour permettre aux élèves de répondre aux enquêtes sur leurs comportements alimentaires et pour développer, en collaboration avec Plan’eat, des ateliers du goût.
Bientôt, une publication co-rédigée par des chercheurs locaux de différents laboratoires sera disponible. Enfin, nous avons validé l’idée d’une visite exploratoire ludique et participative d’un supermarché avec les familles.
Avant de conclure, j’aimerais vous poser une question : quels sont les risques si nous ne changeons rien, pour nous et pour les générations futures ?
Claire Planchat : Si nous ne prenons pas de mesures, les tendances actuelles risquent de s’aggraver. Chez les enfants, nous observons une augmentation du surpoids, des caries, de troubles du comportement alimentaire, engendrant des déséquilibres métaboliques qui, à plus longs termes, font le lit de maladies chroniques plus graves (diabète de type 2, maladies cardiovasculaires, stéatose hépatique, syndrome métabolique…).
En ce qui concerne notre alimentation, la tendance à la végétalisation des repas, qui est une très bonne chose, entraîne des effets pervers, comme la hausse des produits ultra-transformés, comme par exemple de nombreux substituts végétaux de produits animaux (steaks végétaux, « fauxmages »…), qui ne sont pas meilleurs pour la santé ni pour les systèmes alimentaires par rapport à de vrais produits végétaux.
Localement, les consommateurs risquent d’être perdus face à la prolifération de nouveaux labels, en partie industriels, qui créent la confusion quant à l’impact environnemental de certains produits et à leur qualité nutritionnelle.
Enfin, nous exportons environ 45% de nos céréales, dont 15 % sont destinés à l’alimentation animale, ce qui interroge la notion d’autonomie alimentaire. Il est dès à présent essentiel d’avoir une vision holistique d’une alimentation territoriale saine et durable.
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