Dans un article de la Harvard Business Review, “Comment naviguer dans la jungle de l’écosystème entrepreneurial”, on trouve cette définition de l’écosystème [il] caractérise un milieu réunissant les conditions pour permettre le développement d’entités vivantes, interagissant entre elles. Qualifié d’oasis, l’écosystème favorable offre à l’entrepreneur, quelle que soit sa maturité, de précieuses ressources. Financières bien sûr mais pas seulement, loin s’en faut. En fonction de son histoire et de sa dimension, il peut être plus ou moins aidant ou au contraire très concurrentiel. Qu’en est il de l’écosystème auvergnat ? quelles en sont les caractéristiques les plus différenciantes ? quels en sont les angles morts ? Nous sommes allés poser la question à trois profils d’entrepreneurs : un créateur, Antoine Maurin, The Geek’s Revolt , un repreneur, Miguel Correia Da Silva et une start up, Since & Co Digital, Sylvie Lechauve. Et nous terminons avec Romain Siso, du Crédit Agricole Centre France (CACF). Il y a exercé plusieurs métiers: d’abord conseiller professionnel, puis formateur, et enfin, « expert innovation » au sein de la direction «marchés professionnels » de la caisse régionale.
Romain, quel est votre rôle au CACF?
Plusieurs experts interviennent au sein de cette direction ( Experts profession libérale de santé, profession libérale juridique, pharmacie, etc). L’idée étant d’avoir, aux côtés du maillage territorial qu’impulsent les 266 conseillers spécialisés sur les cinq départements de la caisse, des experts connaissant plus spécifiquement les enjeux et problématiques des différents secteurs. Dont l’innovation.
J’interviens sur les segments création, reprise, franchise et innovation, pour les financements ‘bas de bilan’. Sur les sujets création & reprise, les conseillers sont autonomes dans la plupart des cas. Ils peuvent néanmoins solliciter l’un ou l’autre des experts en cas de dossiers plus complexes.
Le sujet innovation nécessite une grille de lecture spécifique. Là encore, le fonctionnement se fait en réseau. Les projets émanent soit des conseillers spécialisés soit du réseau des partenaires (CCI, experts comptables, avocats, incubateurs, …). Les conseillers sont formés à repérer les projets à composantes «innovation », qu’elle soit technologique ou d’usage. Dans la phase de découverte du projet du client, quelques questions clés permettent de faire émerger les besoins spécifiques. Notamment celle concernant la pré existence d’un marché correspond au projet. Selon le degré d’innovation, la phase d’accès au marché peut être rapide ou au contraire, très longue dans le cas d’une innovation de rupture. Dans ce second cas, la longue phase de développement est à anticiper.
L’autre question est celle permettant d’évaluer la connaissance de l’écosystème innovation du porteur de projet. Est-il au début ou à la fin de son parcours, a-t-il identifié les acteurs, les financements, … (Bourse French Tech, autres acteurs, …)
Rechercher l’effet de levier maximal
Les réponses à ces questions permettent aux conseillers d’identifier rapidement des besoins d’accompagnement spécifiques. Les plans de financement des projets innovants sont assez souvent atypiques, avec un accès au marché décalé dans le temps qui va demander une approche et un montage différents des créations ‘classiques’.
Pour Romain Siso, cette phrase est particulièrement importante : il existe des dispositifs d’accompagnement et de financement spécifiquement fléchés sur l’anté-création. Après, il est trop tard pour les mobiliser. Une rencontre au bon moment permet de s’assurer que tous les moyens ont été mis en œuvre pour que le projet arrive sereinement sur le marché.
Ces dispositifs, lorsqu’ils sont bien combinés, produisent des effets de leviers très importants pour les jeunes structures. Certaines manquent d’apport personnel, elles peuvent être orientées vers les plateformes type Entreprendre ou Initiatives. Au travers des prêts d’honneur (attribués aux personnes physiques), ils améliorent l’apport puisque considérés comme tels par les banques. AIT (Association Initiative Auvergne Innovation et Transmission) soutenu par Clermont Auvergne Métropole, gère le Fonds Métropolitain pour l’Innovation (FMI) et AT2I+, ouverts aux créateurs innovants ou anté création pour les projets issus des incubateurs, accélérateurs. De plus, encore une fois, au-delà du financement, ces dispositifs ouvrent sur un réseau précieux et un accompagnement souvent structurant.
Des réponses adaptées à des besoins spécifiques
Nous avons des dispositifs financiers spécifiques pour l’innovation.
– une bourse – de 2000€ maximum- destinée aux projets post incubation. Elle peut permettre de prolonger un accompagnement, de mobiliser des expertises complémentaires, d’acquérir du matériel. C’est un coup de pouce un signe d’encouragement et de confiance dans l’avenir du projet. Nous en distribuons 24 chaque année. Elles sont sourcées dans les incubateurs (ou pour la Creuse et la Corrèze, dans notre réseau de tiers-lieux partenaires), en fonction de la maturation et de la proximité de l’accès au marché.
Nous sommes vigilants à ce qu’il n’y ait pas de doublon avec le FMI ou AT2I.
- un prêt ‘Innovation’, qui a la particularité d’offrir un différé conséquent pour financer la R& D et le début de la phase d’industrialisation (en moyenne 2 ans). L’intérêt de ce financement est double. En général, il marque l’entrée du projet dans le réseau des financeurs. Ils vont venir compléter les financements avec des aides ou des prêts d’honneur et le cas échéant, orienter vers les incubateurs ou accélérateurs, …
- les financements liés à la création reprise, qu’il y ait un volet innovation ou pas, avec un prêt à 0% pour 30% du montant du projet (plafonné à 30k) sur 60 mois complété d’un prêt classique. Cela permet de faire baisser le cout du crédit.
- Enfin un prêt spécifique pour accompagner l’embauche avec un remboursement différé; Cela permet de couvrir le temps de démarrage et de formation d’un nouveau salarié.
Construire un parcours cohérent
Ce qui est important c’est que nous étudions les dossiers et prenons les décisions localement. Nous agissons en proximité. Cela nous permet d’être agile, et assure une bonne connaissance du terrain. On se connaît tous et avons l’habitude de travailler ensemble. Nous connaissons les dispositifs des différents intervenants et les moments où ils sont accessibles et pertinents. Nous sommes capables de nous associer avec des confrères pour former un pool de financeurs quand c’est nécessaire parce que les montants concernés sont conséquents et le marché plus risqué.
Cela permet de gagner du temps et d’optimiser le parcours du créateur, en particulier lorsqu’il porte un projet innovant.
Enfin, il y a également l’approche « haut de bilan » avec une équipe dédiée en interne. Leur fonction est de soutenir les levées de fonds des start up et entreprises dans des phases d’accélération. Le Crédit Agricole dispose de son propre fonds (notamment orienté vers les Medtech, qui ont la particularité d’avoir un délai d’accès au marché très long). Il s’appuie aussi sur tout un réseau d’autres fonds spécifiques dont il connaît bien les attentes.
Comment rester en phase avec un monde qui évolue constamment ? »
Nous participons à certains jurys d’incubateurs ou accélérateurs, cela nous permet de rester connectés aux tendances entrepreneuriales. Nous intervenons aussi dans les programmes de ces mêmes incubateurs-accélérateurs et tiers-lieux, pour montrer comment sont analysés les business plans, comment négocier avec son banquier en comprenant ses attentes, … ce genre de choses.
Notre équipe appartient aussi à un Club des banquiers de l’innovation avec BPI. Il se réunit une fois par an mais nous permet de prendre connaissance des nouvelles « offres » de BPI, les éventuelles évolutions de critères etc. Au-delà, c’est l’occasion de savoir qui sont les autres acteurs sur l’innovation. Toutes les banques n’y sont pas ou n’y restent pas, parfois, les interlocuteurs changent … C’est l’occasion d’actualiser notre réseau.
Enfin, les équipes en charge de l’innovation ont un parcours de formation interne (levée de fonds, nouvelles technologies, marketing digital, comprendre les business models et plan des start up, …). Le tout complété par une forte culture d’autoformation. C’est un univers dans lequel on apprend tout le temps. En participant à des événements (des grands rendez-vous comme Vivatech ou des événements de l’écosystème local), en rencontrant des start up, en lisant et faisant de la veille … Et en s’appuyant aussi sur l’expertise de collègues. J’ai l’exemple de l’un d’entre eux, ingénieur informatique. Il est très pointu sur des sujets complexes comme les datas, le cryptage, les nouvelles technologies, … Il s’occupe des projets de développement digital client internes. Mais il peut aussi nous aider à appréhender des projets parfois un peu obscurs quand on n’est pas spécialiste !
Bref, l’apprentissage, c’est permanent et régulier.
Qu’est ce qui caractérise le mieux l’écosystème local ?
Il est très dynamique, avec un état d’esprit très positif. Il y a beaucoup de cohésion et d’ouverture, les structures collaborent. Je trouve qu’il y a un vrai sens de l’intérêt du porteur de projet au-delà de nos chapelles respectives. Et aussi, beaucoup d’engagement chez ceux qui portent les dispositifs : il y a une véritable motivation d’accompagner au mieux. Avec une culture et des valeurs fortes Le professionnalisme, la dimension humaine et la confiance sont majeurs.
Et puis, j’ai la conviction que l’envie de contribuer à faire de notre territoire une nouvelle terre d’innovation est un moteur très partagé. Ce territoire voit actuellement émerger des marqueurs forts d’une structuration ambitieuse, avec le Pôle d’Innovation Collaboratif, le Centre des matériaux durables, l’université …
Pour terminer, avez -vous un mantra, un conseil aux entrepreneurs ?
Ne restez pas seul ! Au-delà du financement, l’ouverture vers un réseau c’est un bénéfice énorme. On voit encore trop de structures qui ont raté des fonds, des dispositifs et n’ont pas mis toutes les chances de leur côté au démarrage. C’est trop dommage. Donc poussez les portes !