Dans un monde où les défis environnementaux et sociétaux redéfinissent notre approche des infrastructures, le projet de route inductive connectée se présente comme une innovation majeure. Pierre Breul est directeur de Polytech Clermont-Ferrand et chef de projet de cette route du futur. Il nous présente les enjeux et l’avancement de ce projet d’innovation technologique made in Auvergne.

Première question : pouvez-vous nous partager votre parcours professionnel ?

Je suis originaire de la Drôme. Après ma scolarité à Valence, j’ai poursuivi mes études scientifiques à Grenoble puis à Clermont-Ferrand. J’ai obtenu mon  diplôme d’ingénieur au CUST, qui était le nom de Polytech à l’époque. 

Puis, j’ai réalisé une thèse CIFRE au sein de l’entreprise Sol Solution. Après ma thèse, je suis resté deux ans supplémentaires dans cette entreprise en tant qu’ingénieur R&D.

En 2001, j’ai postulé à un poste d’enseignant-chercheur à l’Université Blaise Pascal. Actuellement, je suis professeur à l’UCA, au département de génie civil. Je suis également chercheur au sein de l’Institut Pascal et directeur de Polytech Clermont. Mes domaines de spécialisation sont la mécanique des sols et les milieux granulaires et leur interaction avec les infrastructures. 

La géotechnique, notre champ d’étude, englobe tout ce qui concerne les constructions, comme les fondations, les tunnels, les routes, les barrages, les aéroports, et tous les équipements d’un pays, en interaction avec le sol. Notre travail consiste à étudier le comportement de ces matériaux. Actuellement, nous étudions également les risques liés aux inondations, aux séismes, et plus spécifiquement aux crues torrentielles.

Vous portez le projet d’une route inductive connectée. Racontez-nous ce projet made in Auvergne ?

Ce projet est né lorsque j’ai rejoint la direction de Polytech Clermont. Nous voulions insuffler une dynamique collaborative et trouver des projets fédérateurs pour les personnels et les étudiants tant sur le volet  formation qu’en recherche. 

A cause des nouveaux enjeux sociétaux et environnementaux, nous devons adapter nos infrastructures et trouver de nouvelles sources d’énergies. Par ailleurs, à l’ère du numérique, il est essentiel de rendre les infrastructures intelligentes.

L’UCA, le bassin économique clermontois et l’Auvergne en général, sont mobilisés depuis très longtemps sur la mobilité. C’est une thématique forte et importante.

À l’échelle du site, avec ce projet de route inductive connectée, Polytech Clermont  cherche à fédérer l’Institut des Sciences pour l’Ingénieur (CA INP) et à toucher les compétences des autres écoles. J’ai proposé, avec deux autres collègues ayant des compétences complémentaires aux miennes, de travailler sur ce projet. Roland Chapuis, directeur du CIR2: Systèmes et services innovants pour les transports et la production, se concentre sur la robotique embarquée et les véhicules autonomes, tandis que Khalil El Khamlichi Drissi apporte son expertise dans le domaine de l’induction.

Pourquoi l’induction ? 

Ces dernières années, la solution de recharge par induction n’avait pas le vent en poupe par rapport à l’hydrogène ou à l’électrique par batterie ou caténaire, mais elle s’avère être une solution intéressante pour l’avenir. Les besoins en électricité vont être très importants. Il n’est pas certain que notre production d’énergie actuelle soit suffisante, en particulier en raison des défis liés à l’utilisation des batteries électriques et au fait que de nombreux véhicules vont être branchés aux mêmes heures.

Quant à l’hydrogène, ce n’est pas une option intéressante pour la mobilité du dernier kilomètre mais plutôt pour les grands trajets.  De notre point de vue, l’induction offre de vraies opportunités en recherche et pour les  mobilités. Néanmoins, cette hypothèse reste à démontrer, car il existe des verrous scientifiques à faire sauter.

Expliquez-nous concrètement ce qu’est l’induction ?

L’induction fonctionne sur le principe d’une bobine insérée dans un support, dans notre projet dans la chaussée. C’est la même logique que pour les plaques à induction dans une cuisine. Lorsqu’on fait passer un véhicule équipé d’un système spécifique au-dessus de cette bobine, cela provoque un courant que l’on peut récupérer pour alimenter le véhicule en énergie et lui permettre de se déplacer.

Nous savons faire de l’induction de manière statique, c’est-à-dire si je positionne un véhicule sur une place de parking à l’arrêt, nous pouvons transférer cette énergie. L’enjeu actuel est de faire cela en dynamique, c’est-à-dire en roulant, en flux réel, à des vitesses de trafic courantes. 

Pour l’induction dynamique, des progrès sont déjà visibles dans plusieurs pays. Des prototypes et des démonstrations sont en place en Suède, en Italie et en Allemagne. En Israël, des systèmes d’induction dynamique sont déjà en phase de commercialisation pour des véhicules de grande taille.

On pourrait même aller plus loin ;  imaginer faire de l’échange d’énergie. Sur une route équipée, si un véhicule en surplus d’énergie peut le transférer à un autre véhicule qui passe, un échange d’énergie est donc possible. 

C’est une route inductive connectée. En quoi est-elle connectée ?

Ces routes inductives seraient destinées à des véhicules autonomes.  Le côté connecté concerne des systèmes qui rendent un service à la demande, accessible via une application. De plus, cela permettrait de récolter des données sur la chaussée et l’infrastructure afin d’optimiser la maintenance prédictive. 

Où en êtes-vous avec ce projet ?

Cela fait deux ans que nous travaillons sur ce projet. Nous souhaitons réaliser l’expérimentation sur le campus, dans un environnement réel mais protégé, avec une vitesse contrôlée et au contact direct des ingénieurs et des laboratoires.

A ce jour, nous sommes à la recherche d’un consortium pour nous accompagner. Nous avons approché différents types d’entreprises : des entreprises d’infrastructures pour intégrer le système, des entreprises qui développent des navettes autonomes,  des acteurs dans le domaine de l’énergie, 

Qu’est ce qu’il manque pour que ce projet voit le jour en Auvergne?

Nous avons approché des entreprises qui se sont montrées intéressées, mais nous sommes encore en attente pour finaliser la formation de ce consortium, essentielle à la réalisation de ce projet ambitieux. Les techniques n’étant pas complètement matures, le projet peut être perçu comme risqué, avec un retour sur investissement (ROI) un peu lointain. 

Je pense que l’État et les collectivités ont un rôle à jouer. C’est à eux de faire de la prospective, de prendre des risques et de lancer des initiatives pour que les industriels s’en emparent. 

Nous souhaitons déposer un projet dans le cadre du Programme d’Investissements d’Avenir (PIA). S’il est validé, il offrira un budget conséquent qui nous permettra d’avancer. Nous envisageons de développer une boucle de 2 km comprenant 5 tronçons distincts, chacun équipé différemment, pour diversifier nos expérimentations. 

Pour les mobilités au sein des villes ou pour les trajets domicile-travail, la route inductive connectée peut être une vraie plus-value en complément des bus et tramways. Cela ne nécessiterait pas une transformation majeure des infrastructures existantes. 

Nous envisageons de créer des tronçons spécifiques pour cette recherche, mais cela ne concerne pas toute l’infrastructure. Ce type de véhicules pourrait offrir un service de transport de personnes d’un point A à un point B avec des sections de recharge à induction tous les 500 mètres ou tous les kilomètres.

Ce projet peut paraître tout droit sorti d’un film de science-fiction. Est-ce que l’on est vraiment à l’aube d’une révolution des mobilités en Auvergne et partout dans le monde ?

En effet, nous observons des indicateurs forts qui suggèrent que nous sommes à l’aube d’une révolution des mobilités. D’ici 2035, il n’y aura plus de véhicules thermiques au niveau européen. Nous nous orientons vers une mobilité quasi entièrement électrique.

Les usages sont également déjà en train de se transformer :  l’utilisation de véhicules particuliers va diminuer au profit des transports en commun, de l’auto-partage, des mobilités actives et des trains. Les modes de mobilité lourde ne sont plus considérés comme pertinents. Nous sommes déjà entrés dans cette ère de changement, mais il est important de reconnaître que cela ne se fait pas du jour au lendemain. Les fabricants automobiles travaillent activement sur ces sujets, et un compte à rebours a été lancé.

En termes de R&D, nous sommes engagés dans des années de recherche sur la route à induction connectée. Mais d’une manière générale, lorsque l’on parle innovation, la temporalité des décideurs et des industriels qui attendent naturellement des solutions et des retombées relativement rapides, n’est pas celle de la recherche qui rencontre souvent des difficultés techniques ou scientifiques parfois longues à lever. Les délais raisonnables pour la R&D ne sont pas toujours les mêmes que ceux attendus par les politiques.

C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter ?

Nous sommes à une époque où nous nourrissons l’espoir de convaincre et de concrétiser nos projets dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, tant du point de vue de la recherche que de l’industrie. Les compétences nécessaires sont réunies au sein de notre région pour réussir ce projet, ce qui en ferait une belle carte de visite. Comme c’est le début de l’année, parmi mes vœux, j’espère que nous parviendrons à faire aboutir ce projet.

Portant plusieurs casquettes, je reconnais que parfois le temps manque pour se consacrer pleinement à tous les aspects de notre travail. Les aspects de communication et de sensibilisation sont souvent mis de côté, car nous sommes fréquemment très occupés. Cependant, il est essentiel de prendre le temps de communiquer et de partager nos avancées, car cela fait partie intégrante du succès de nos projets.