Le Sénat vient d’adopter un texte de loi ‘anti fast fashion’, bloqué dans les méandres institutionnels depuis plusieurs mois après son adoption en mars 2024 par l’Assemblée Nationale. Le texte fait semble-t-il, l’objet d’un intense lobbying de la part des premiers visés (comprendre les Shein et autres Temu). Catherine Dauriac, en visite à Clermont, militante et présidente du mouvement Fashion Revolution, en explique les enjeux et les impacts.

L’industrie de la mode est confrontée à des défis environnementaux et sociaux majeurs. Notamment la pollution chimique liée aux plus de 8000 substances chimiques présentes dans les vêtements et aux rejets des usines de teinture. Cette pollution a un impact sur la santé humaine et l’environnement. Elle est également marquée par des conditions de travail souvent précaires, des salaires inférieurs au seuil de pauvreté, du harcèlement, et parfois le travail des enfants. Le tout au sein d’une chaîne de valeur opaque. La surproduction et la surconsommation alimentées par la « fast-fashion » contribuent à un gaspillage massif. Enfin, l’industrie a un impact carbone et énergétique considérable. Cet impact est principalement dû à la production des matières premières et à la fabrication utilisant des énergies fossiles

En bref : que dit le texte de loi anti fast fashion

Il définit le terme de « fast fashion ou ultra fast fashion ». « La mise à disposition ou la distribution d’un nombre élevé de nouvelles références de vêtements sur un temps donné dépassant certains seuils ». Comme les termes « élevé » et « certains » sont un peu flous, des seuils chiffrés seront fixés par décret.

Il introduit une obligation d’affichage de sensibilisation sur « l’impact environnemental de leurs produits ». Ainsi que des encouragements « à la sobriété, au réemploi, à la réparation, à la réutilisation et au recyclage« . Il obligera aussi, à partir d’avril 2026, un affichage de durabilité, via un nouvel eco score (comme le Nutriscore). D’ailleurs, vous pouvez tester ClearFashion l’appli qui lit les étiquettes (comme Yuka pour l’alimentation).

Il fait évoluer le dispositif d’éco-modulation qui s’applique aux producteurs. Selon le principe de Responsabilité Élargie du Producteur (REP), ils doivent financer la gestion des déchets liés à leurs produits. Leur contribution à l’éco-organisme de la filière textile Refashion est fonction de leur facilité à recycler, de leur réparabilité et de leur écoconception. La proposition de loi ajoute deux nouveaux critères d’éco-modulation: l’impact environnemental et l’empreinte carbone. Un malus écologique pourra être appliqué.

Enfin, il interdit la publicité pour les produits et les marques. Interdiction qui a été étendue aux influenceurs.

Catherine Dauriac, les méfaits de la « mode ultra express »

Elle intervenait récemment, aux côtés de Vincent André, co fondateur de Picture Organic Clothings, lors d’un événement organisé à Clermont par le café Flax.

Des impacts négatifs croissants

La fast fashion peut se comparer à la « fast food ». Elle représente un « problème environnemental, social et économique ». L’idée que les vêtements à bas prix sont avantageux pour le portefeuille est une illusion. Il faut considérer le « prix au porté ». Catherine Dauriac donne un exemple concret : « un t-shirt à 5 €, si je le porte deux trois fois, il va me coûter 1,5 € au porté ». Tandis qu’un « beau t-shirt à 60 € dans une marque de mode éthique, je vais le porter 3 à 4 ans ».

Historiquement, les vêtements servaient juste à « cacher nos nudités ». Cependant, les vêtements que nous portons sont désormais « de plus en plus délétères pour la santé« . Pour celle des personnes qui les fabriquent, pour l’environnement à cause des « produits toxiques » rejetés dans les ruisseaux, et « aussi pour nous consommateur ». Ces vêtements sont « bourrés de produits chimiques de perturbateurs endocriniens« . Pour Catherine Dauriac, « 69 % des vêtements sont faits de plastique (polyester), c’est-à-dire du pétrole« . Les perturbateurs endocriniens, dont on parle depuis 25 ans, et les substances « PFAS » sont des préoccupations majeures. Sur le plan environnemental, la surproduction et la surconsommation génèrent des déchets. Déchets que l’on retrouve évidemment dans la nature au Ghana dans les déserts en Inde et au Pakistan« .

Fuite en avant

L’attrait de la fast fashion s’explique par des « biais cognitifs ». Catherine Dauriac avance l’idée que le « cerveau humain n’est pas capable d’accepter ce qu’il sait ». Que ce soit à propos des « drames de changement climatique ou de santé publique« . Comme pour la malbouffe : « tout le monde sait que la malbouffe entraîne l’obésité et des cancers. Pour la mode, c’est pareil, on le sait mais on ne change rien« .

Les leviers pour changer

L’activisme d’ONG comme Fashion Revolution, le développement de labels, de réseaux, … engagent un mouvement de prise de conscience.

Il est question de renforcer l’information du grand public mais aussi l’éducation pour « faire bouger les lignes aussi d’un point de vue politique et économique« . C’est toujours le triangle de l’inaction qu’il faut chercher à briser. Simultanément, mobiliser les citoyens, pour faire bouger les entreprises et les pouvoirs publics pour faire évoluer le cadre réglementaire.

Pour les citoyens, on peut conserver quelques références chiffrées en tête.  » On ne porte que « 30 % des fringues qu’on a chez nous ». Les 70 % restants devraient être donnés, échangés, réparés ou transformés« ? Et « si on arrêtait tout aujourd’hui, avec ce qui est dans les placards, dans les usines, dans les magasins et les entrepôts logistiques, on aurait de quoi s’habiller jusqu’en 2050.«

Adopter la « slow fashion », une mode basée sur l’éthique, la qualité et les salaires décents pour les gens qui produisent. Catherine Dauriac promeut également les nouvelles filières. Encore modestes elles sont porteuses d’autres modèles avec des matières naturelles et fibres locales comme la laine, le lin, le chanvre, et le renouveau de l’ortie en France (lire le post de JM Jancovici au sujet du lin)

A propos du cadre politique, elle plaide pour un changement radical de système économique : « il faut arrêter avec l’extraction » pour un système « plus régénératif » qui « protège les écosystèmes naturels les humains, les non humains, les animaux ». Penser global, agir local , il s’agit de commencer les changements à petite échelle, par soi-même, sa famille, ses voisins et collègues, pour ensuite influencer les élus

FOCUS Picture, approche volontaire & work in progress

C’était le pendant de Catherine Dauriac lors cette conférence dans la cadre de la Fashion Revolution week, pour Vincent André, cofondateur de la marque outdoor Picture, les marques font partie du problème, et donc de la solution. La marque assume un compromis sur le « Made In France » pour rendre l’achat responsable plus accessible, tout en investissant dans des matières durables, des processus de fabrication plus propres, des conditions de travail décentes, la transparence et la durabilité de ses produits. Son engagement politique via En Mode Climat montre également une volonté d’influencer un changement systémique à l’échelle de l’industrie. Focus sur ses engagements.

Concilier modèle économique et responsabilité

Picture vise à rendre l’achat responsable accessible au grand public en s’alignant sur les prix des produits conventionnels. Ce choix conduit la marque à produire majoritairement à l’étranger, notamment en Turquie et en Chine, où les coûts de main-d’œuvre sont plus bas, permettant d’atteindre les prix de vente jugés « justes et alignés » sur la concurrence (par exemple, un t-shirt bio vendu entre 30 et 33€ TTC). Si la production était en France, le prix de ce t-shirt atteindrait 70-75€ TTC, ce qui nuirait à l’objectif de démocratisation.

Engagement social

Vincent André explique que Picture a développé des relations étroites avec ses fournisseurs et s’assurent que les usines soient socialement irréprochables. Par exemple, son partenaire Seyfeli en Turquie est qualifié de « modèle d’engagement social ». La marque collabore avec la Fair Wear Foundation (FWF), une organisation indépendante qui vise à contrôler et améliorer les conditions de travail dans l’industrie textile. La FWF s’appuie sur un Code du Travail inspiré par l’OIT et la Déclaration internationale des droits de l’Homme, couvrant des aspects comme le travail choisi librement, l’interdiction de la discrimination et du travail des enfants, la liberté d’association, le paiement d’un salaire décent, des horaires de travail raisonnables et des conditions de travail sûres

La question des matières

Picture privilégie les matières premières responsables comme le coton biologique, le polyester recyclé, le polyester bio-sourcé et les matières reconditionnées. Plus de 80% de leurs matières sont recyclées, biologiques ou circulaires et certifiées. La marque emploie des procédés de teinture moins consommateurs d’énergie et d’eau. Depuis 2017, tous leurs produits techniques utilisent un traitement déperlant sans produits chimiques nocifs (PFC)

Le transport

Picture interdit le transport aérien pour l’acheminement de ses produits vers le lieu de stockage, privilégiant le transport par bateau. La marque met en place des initiatives de décarbonation au sein de ses chaînes d’approvisionnement. Elle finance des audits énergétiques et l’installation de panneaux solaires chez ses partenaires en Turquie et au Vietnam. Une certaine relocalisation énergétique est envisagée vers des pays avec une électricité moins carbonée. Par exemple pour les chaussettes au Portugal ou les cache-cous en France/Italie.

La durabilité

Picture propose une garantie de réparabilité à vie pour ses produits les plus techniques (les vestes en particulier) et encourage leur entretien pour prolonger leur durée de vie. La marque propose un programme de location de vêtements qui peine à entrer dans les mœurs. Contrairement aux marques de « fast-fashion », Picture ne propose que deux collections annuelles. Elle est un membre actif de l’association En Mode Climat, qui œuvre pour faire évoluer la législation afin de contraindre l’ensemble de l’industrie textile à réduire ses volumes de production et son impact global. Et collabore avec Clear Fashion pour afficher des scores environnementaux et sociaux sur l’ensemble de ses produits.

La collection Automne Hiver 2024-2025 a obtenu une moyenne de 79/100. 38% au-dessus de la moyenne des marques notées par Clear Fashion. La marque assure une connaissance totale et une traçabilité de ses filières d’approvisionnements, de la matière première au produit fini. Les informations sur les lieux de production et les caractéristiques environnementales des produits sont affichées sur les fiches produits, en conformité avec la loi AGEC.

Visiter le site de Picture, très pédagogique sur les engagements, les limites, les essais, les choses à faire encore progresser …