La Convention des Entreprises pour le Climat Massif Central (*)#2 en est à sa session 3 (voir la vidéo Fin de session 1). Chaque rencontre est structurée en différentes séquences. Le but: accompagner l’introspection des entreprises et leur cheminement vers une feuille de route régénérative. Pour cette session, après une visite forestière guidée et commentée, retour en salle pour parler biomimétisme. L’approche de Paul Boulanger consiste à décrypter les stratégies du vivant pour penser l’innovation et l’adaptation des organisations.
Changer de lunettes
Le biomimétisme appliqué à la stratégie et à l’organisation propose une refonte profonde du modèle économique dominant. Il invite les entreprises à sortir du cadre de pensée « habituel ». Et à réfléchir à l’échelle des systèmes vivants : interdépendants, adaptatifs et coopératifs. Pour cela, Paul Boulanger décortique neuf principes d’organisation inspirés du vivant. répartis en trois grandes dynamiques, comme une nouvelle boussole pour les entreprises.
- vivre le présent,
- rebondir face aux crises,
- et coévoluer vers l’avenir.
Vivre le présent: interdépendance, pondération et intégrité
Le vivant fonctionne en réseau, les entreprises aussi. Paul Boulanger invite à prendre conscience de ses dépendances, à les cartographier pour mieux identifier et anticiper ses vulnérabilités. Face aux agressions, les organismes vivants se protègent, se rendent invisibles ou se réparent. Les entreprises doivent intégrer cette logique défensive, en anticipant les menaces et en s’équipant pour rebondir rapidement. Il montre aussi comment le vivant ‘s’économise » et fait le lien avec ce qu’il qualifie de stratégie de la paresse ou comment dépenser moins d’énergie inutile. Doser ses efforts et ceux de ses équipes sur une raison d’être claire et pertinente, coopérer avec des partenaires partageant les mêmes valeurs, ralentir, …
Leviers pour rebondir : diversité, auto organisation et apprentissage
Dans la nature, aucune espèce ne parie sur une seule stratégie. L’entreprise résiliente cultive la diversité des profils, des idées, des canaux, des plans. L’uniformité expose au risque. De la même manière, une organisation centralisée nuit à la réactivité. Quand le choc arrive, les réponses doivent venir du terrain. L’entreprise doit alors donner les moyens d’agir localement, de manière agile, sans perdre le lien stratégique. L’auto-organisation n’est pas l’anarchie mais au contraire, une forme de responsabilité distribuée. Dans le vivant, les erreurs sont mémorisées génétiquement mais l’entreprise doit penser à capitaliser sur ses échecs, les documenter, les transmettre, pour mieux innover. Ce processus de “mémoire organisationnelle” est un levier clé de résilience.
Coévoluer, créativité, pertinence et transmission
Le vivant innove par mutation, recombinaison, essais-erreurs. De même, l’entreprise doit favoriser des environnements créatifs où l’erreur est source d’innovation. Sans capacité d’expérimentation, il n’y a pas d’évolution. Une espèce qui ne répond plus aux besoins de son écosystème disparaît. Une entreprise, aussi. Elle doit continuellement se poser la question de son utilité, des besoins réels auxquels elle répond. Enfin, ce qui se transmet détermine ce qui survit. L’entreprise doit penser en générations : transmettre un savoir, une éthique, un patrimoine, une culture. C’est le passage d’une logique de résultat court terme à une logique de bilan long terme. Une question de choix entre pulsion de vie (Éros) ou de mort (Thanatos).
La coopération
Dans la nature, la coopération n’est ni morale ni altruiste : elle est ‘juste’ une stratégie d’optimisation de l’énergie. Et si c’est un terme plutôt à la mode, sa mise en œuvre réelle est plus rare. Le vivant coopère plus qu’il ne concurrence.
Dans le vivant, coopérer, c’est survivre
La coopération permet de sécuriser l’accès aux ressources, de réduire les dépenses énergétiques, de tirer parti des interactions, que ce soit entre espèces ou au sein d’une même espèce. Chez les plantes, une tomate agressée alerte ses voisines via des composés volatils, déclenchant chez elles une réaction de défense anticipée. Une solidarité chimique, silencieuse mais vitale. Entre espèces, la mycorhize, cette alliance entre un champignon et une plante, montre que l’union asymétrique peut produire de la valeur mutuelle : la plante multiplie sa capacité à capter l’eau et les minéraux, tandis que le champignon puise dans ses sucres. La symbiose entre l’acacia et les fourmis va encore plus loin : fidélité, protection, confiance, spécialisation… un modèle quasi organisationnel.
Des variations dans les systèmes de coopération
Dans la théorie des jeux comme dans la biologie, la coopération se situe sur un continuum fragile : elle peut basculer vers le parasitisme (l’un tire profit, l’autre s’épuise) ou la prédation (relation destructrice à court terme). Le monde économique offre ses équivalents : clauses léonines imposées par de grandes entreprises, ventes forcées, stratégies d’épuisement des partenaires ou des clients.
C’est pourquoi la coopération durable nécessite des règles du jeu explicites, des temps de réflexivité, et une capacité à dire « stop ». Dans une relation asymétrique – comme celle du champignon plus libre que la plante – la partie la plus dépendante doit s’assurer que l’autre continue à y trouver intérêt. Cela suppose une gestion fine des interdépendances et une vigilance stratégique constante.
Construire sa stratégie de coopération
Notre espèce s’est différenciée par sa capacité à partager une intention, construire des récits communs, organiser des actions collectives à grande échelle. C’est cette capacité qui nous a permis de surpasser d’autres espèces du genre Homo, malgré des différences physiologiques parfois à notre désavantage. Dans un contexte d’incertitude et de transformation rapide, les organisations humaines ont tout à gagner à réactiver cette intelligence collective coopérative, non comme une posture naïve mais comme stratégie évolutive.
Les grands principes
- Clarifier les règles d’échange : ce qui est donné, attendu, et comment on mesure l’équité de la relation.
- Organiser des temps de réflexivité stratégique avec les partenaires. Revisiter la qualité du lien, les intérêts mutuels, les signaux faibles de désalignement.
- Accepter l’asymétrie, et la gérer. Dans le vivant c’est le mode de coopération le plus répandu. Et c’est sans doute le plus difficile à adopter, culturellement. Admettre -et apprécier- une collaboration dans laquelle chaque partie trouve un bénéfice, même s’il est plus élevé pour l’une de deux. Cette asymétrie implique que la partie la plus dépendante doit constamment s’assurer que l’autre partie trouve toujours un intérêt suffisant à maintenir la relation.
- Savoir dire « non », et savoir réparer : la coopération réussie repose sur la capacité à sanctionner sans détruire. Le modèle de Rapoport (coopération- réciprocité – pardon) est une référence féconde.
- Activer la stratégie de la paresse. Coopérer, c’est aussi déléguer, faire faire par d’autres qui ont un intérêt à le faire. Cela réduit l’effort et augmente la résilience.
- Savoir se mettre en dormance. Parfois, la meilleure stratégie coopérative est de se retirer temporairement, réduire la voilure, laisser l’écosystème œuvrer, et revenir plus fort.
En somme, il ne suffit plus de « faire ensemble », il faut penser ensemble, s’ajuster ensemble, survivre ensemble. Dans un monde qui bascule, la coopération n’est pas une option.
Lire l’article sur le lancement de la Convention des Entreprises pour le Climat.
Un article rédigé en coopération asymétrique, entre IH et IA , Team Véronique JAL et NoteBookLM.