Le 3 juillet dernier, à la forêt des Arboris, plus d’une centaine de personnes ont célébré les dix ans de CoCoShaker. L’intégrité journalistique m’impose de vous partager le fait que ce soir là, je portais une double casquette : celle du Connecteur, que je ne quitte jamais. Et celle de co-présidente, aux côtés de Jean Claude Hugueny, de Cocoshaker.
Le lieu, magnifique, le programme, fait de ballades contées, d’ateliers pratiques et de courtes tables rondes, tout était propice à l’échange construit, serein, ‘nourrissant’. C’est une chance, dans le contexte morose et anxiogène qui est le nôtre au quotidien, de pouvoir traverser ce genre d’univers. Un univers où des individus décident de répondre à un besoin social qu’ils ont identifié et qu’ils n’acceptent pas. Et de tenter de le faire en y mettant toute leur énergie, leur envie, leurs efforts pour une finalité sociale avant tout.
Deux idées fortes en ressortent: l’énergie intacte de cette communauté et sa capacité à inventer un entrepreneuriat alternatif, connecté à la vie locale et utile socialement.
Repenser le territoire et l’habitabilité
Ces 10 ans étaient un temps festif bien sûr, mais aussi de partage de réflexions, de visions, d’expériences …
Sur scène, des tables rondes animées par Benoît Bouscarel, de L’Onde Porteuse, elle-même partie prenante de cet univers de l’ESS avec son modèle d’inclusion par l’activité radio.
L’une des rencontres était construire autour de la relation au territoire, et notamment à l’interaction métropole/ territoires ruraux. « Faire Auvergne : Entre métropole et ruralité ».
Laurent Lelli (AgroParisTech Clermont‑Ferrand) invitait à remplacer la quête de la sacro-sainte attractivité par celle de l’habitabilité : plutôt que de se battre pour attirer des habitants, des médecins, des financements, interrogeons-nous sur la qualité de vie collective. Pour lui, le territoire est un organisme vivant — un « rhizome » où chaque initiative locale fait naître une fertilité partagée. C’est une belle vision, cette idée de rhizome.
Un autre monde qui résiste
Et donc, dans ce climat géopolitique, économique et social de plus en plus anxiogène, CoCoShaker ressemble à une bulle : un écosystème où l’on invente, on expérimente, on vit de son projet sans chercher à s’enrichir individuellement. Cette capacité à maintenir intacte l’énergie de chercher des solutions alternatives, c’est un peu sa ligne de crête depuis dix ans. Ici, l’ancrage territorial n’est pas un slogan : c’est une posture qui consiste à écouter les besoins, reconnaître ce qui existe déjà et composer avec les forces vives locales.
C’est ce qui a conduit CocoShaker à lancer l’Epicerie des idées. Démarrée il y a 10 ans, l’aventure Cocoshaker était celle d’un incubateur destiné à accompagner les projets d’entrepreneuriat social. Au départ, il n’y avait qu’un parcours, centré sur Clermont. Aujourd’hui, il y en a trois, qui suivent le niveau de maturité et les besoins des projets, et un quatrième qui n’est pas un parcours pour entrepreneurs mais pour les territoires. C’est donc l’épicerie des idées, le dernier né, qui fait sens au regard des besoins.
C’est l’esprit Cocoshaker: cultiver l’expérimentation, chercher la bonne manière de faire, s’autoriser à tester, à réajuster, à retester …
Chiffres et impacts : dix ans en quelques repères
-
221 entrepreneur·e·s accompagné·e·s, convaincus qu’on peut entreprendre autrement
- 386 000 € de bourses obtenues grâce à l’intermédiaire de CoCoShaker, pour donner un véritable coup de pouce à des projets qui n’auraient peut-être jamais vu le jour sans ce soutien
- 60 événements par an, qui tissent des liens entre porteurs de projets, partenaires publics, citoyens et financeurs
- Un territoire élargi aux quatre départements auvergnats, parce que l’innovation sociale ne s’arrête pas aux frontières d’une métropole
Quelques uns des projets emblématiques soutenus par CoCoShaker au fil des ans :
-
Monsieur Damien – un atelier « La gamification, c’est quoi ? » animé par Damien, qui explore comment les mécanismes de jeu peuvent renforcer l’engagement dans des projets sociaux et culturels
- La Forêt des Arboris – une kermesse éco-participative imaginée par d’anciens incubés, qui transforme la forêt des Arboris en un lieu de rencontres festives et solidaires
- Mobil’Sport – des jeux sportifs itinérants pensés pour rapprocher différentes générations et promouvoir l’activité physique dans les communes rurales
-
Les BAZARs de la Santé : réhabilitation d’un ancien hôtel-restaurant pour créer le premier centre français et européen de ressources dédié à la prévention primaire de la santé physique et mentale des professionnels, étudiants et aidants du secteur santé, axé sur la pairs-aidance, la santé intégrative et le développement des soft skills.
- Le Bouillon – un atelier cuisine collaboratif, qui mêle chefs locaux et habitants pour inventer des recettes à partir de produits de saison et lutter contre le gaspillage alimentaire
- Poom – une pâtisserie-conserverie accompagnée en 2023, qui valorise les savoir-faire locaux autour de la confiserie et dynamise l’économie de proximité
-
Alti’Répit: accueils de répit adaptés aux personnes en situation de handicap et à leurs aidants familiaux. Des séjours sur mesure alliant activités nature et contact avec les animaux pour soulager les aidants, rompre l’isolement et offrir un temps de ressourcement.
Trois forces à choyer pour les dix prochaines années
Les femmes et les hommes : Derrière cette décennie et chaque promo, il y a l’équipe, des personnalités engagées. D’Emmanuelle qui a eu l’intuition du besoin et lui a donné corps, à Marion qui a repris les manettes et fait vivre depuis un projet clair et un management vraiment collaboratif et responsabilisant. Il y a de la confiance et beaucoup de place pour la créativité, l’autonomie et l’intelligence collective. C’est vertueux et bénéfique pour l’équipe d’abord – Lucie, Léo, Illona, Etienne, Cécile, Pauline, Fanny, Etienne… chacun laisse son empreinte. Mais aussi pour les projets qu’ils accompagnent. Et c’est cohérent aussi avec le projet.
L’expérimentation : chez CoCoShaker, on teste, on discute, on réajuste, on reteste ; qu’il s’agisse des parcours entrepreneur, de la stratégie de l’incubateur ou du fonctionnement de l’équipe.
L’équilibre public-privé : un réseau solide de partenaires permet d’inscrire chaque action dans la durée. Coopérer, s’ancrer, diversifier : autant de clés de robustesse dans un monde instable, pour reprendre les mots d’Olivier Hamant
Des modèles qui font du bien
Croiser ces porteurs de projet, c’est redonner du sens, ils rappellent qu’on peut construire un avenir désirable. Leur inventivité et leur engagement démultiplient la confiance collective – une énergie rare qu’il faut cultiver.
Alors, oui, le pari de CoCoShaker est singulier : rester humble, rester ancré, et continuer à secouer les idées pour que naissent, ici même, des réponses sociales et environnementales qui fonctionnent.