Par Damien Caillard

Le Sommet de l’Elevage, en tant qu’événement majeur de la filière, est aussi l’occasion de se projeter dans le futur. En l’occurrence, 2050 : quel sera l’impact du changement climatique sur l’agriculture en général – et l’élevage en particulier – dans le Massif Central ? Comment les éleveurs peuvent-ils adapter leurs pratiques ? C’est l’objet du projet AP3C [Adaptation des Pratiques Culturales au Changement Climatique], un projet de « recherche et développement » lancé en 2015 et qui réunit une dizaine de départements du Massif Central, dont leurs Chambres d’Agriculture, avec un financement de l’Etat.


Dans une des salles du Centre de Conférences de la Grande Halle, de nombreuses personnes se pressent, toutes ayant (probablement) en tête les images de terres brûlées et de champs jaunis par la canicule. L’équipe AP3C prend la parole, en commençant par une présentation du projet. « Travailler sur le système agricole » en est le leitmotif : l’approche est en effet prospective (sur plusieurs décennies), pratique (datas et conseils pour adapter les pratiques des exploitants agricoles) et économique (logique de filière amont/aval et de maintien de la production).

Néanmoins, l’enjeu reste complexe et implique rien de moins que de « changer la filière » comme le précise Olivier Tourand, élu référent du projet. Et Frédérique Gomez, commissaire de Massif et un des financeurs majeurs de l’initiative, insiste : « nous sommes le seul massif [français] à faire cette réflexion »

Ainsi, par une triple expertise agronomique, climatique et systémique, le projet AP3C vise à :

  • caractériser les scenari d’évolution des « systèmes d’exploitation » du Massif Central (on ne parle pas de Windows mais des exploitations agricoles) ;
  • sensibiliser les acteurs du monde agricole aux impacts climatiques;
  • adapter les outils de conseil au changement climatique.

Le Massif Central en 2050 : plus chaud, plus sec

Tout d’abord, Vincent Caillez, climatologue auprès de la Chambre d’Agriculture de la Creuse, présente quelques projections climatiques sur la période 2020-2050. Le principe : les mécanismes du changement climatique mondial sont de mieux en mieux étudiés, et les climatologues peuvent désormais établir des projections locales. Températures, bilan hydrique, sécheresse des sols … l’équipe travaillant dans le cadre du projet AP3C a pu élaborer des cartes assez précises du Massif Central dans les décennies à venir.

Les projections de pluviométrie laissent apparaître une vraie disparité selon les territoires du Massif Central

En résumé ? « Une baisse très sensible [de la pluviométrie] … avec un territoire plus chaud et plus sec » selon Vincent Cailliez. Pas de grande surprise hélas, avec toutefois des écarts selon les zones (la Haute-Loire s’en sort mieux, le sud du Massif moins bien), et des effets importants liés à l’altitude ou à l’encaissement (notamment les « effets vallées »). « Le changement climatique peut varier du simple au double à l’échelle d’un département » souligne le climatologue.

Quelques cas concrets suivent la présentation générale. Marcenat (nord du Cantal) illustre la situation en moyenne montagne. Un degré de température gagné, davantage de pluie en automne, et tout de même 40 jours de gel en moins ! Ce qui peut paraître une bonne nouvelle est toutefois à relativiser : si les gelées tardives reculeront de 3 jours (au printemps, donc), elles impacteront une végétation qui sera plus développée de quasiment 15 jours, donc potentiellement plus fragile.

Même travail pour Brive-la-Gaillarde, avec une altitude plus basse et un terrain plus argileux. Là, la baisse des précipitations sera plus sensible : « on va perdre un mois de précipitations » prévient Stéphane Martignac, de la Chambre d’Agriculture de la Corrèze. Les « jours très chauds« , à plus de 30°C, vont doubler d’ici 2050 par rapport à 2000 (de 8 à 16 jours par an), impactant la pousse des plantes via l’évapo-transpiration (la perte de l’eau par les plantes sous l’effet de la chaleur).

Comment adapter les exploitations ?

Après les projections régionales et les exemples locaux, d’autres acteurs du projet AP3C prennent la parole pour parler agronomie et systèmes d’exploitation. Avec notamment le problème des années atypiques : « A partir de 2020-2030, il ne sera pas possible de récolter du foin dans de bonnes conditions 2 années sur 10″ prévient Yann Bouchard de la Chambre d’Agriculture du Cantal. Pour le maïs, ce sera pire : les récoltes ne seront considérées comme réussies que 3 années sur 10 à l’horizon 2050 !

Une des clés de la réussite sera donc la réactivité des exploitants, pour profiter des bonnes années, et pour profiter des bons jours durant ces bonnes années. « Il faudra être prêt le jour où les conditions seront les bonnes » résume Stéphane Martignac.

On voit ici – pour Brive – l’augmentation de la fréquence des années atypiques. Et ce n’est qu’avant 2015

La réunion se conclut par la présentation de plusieurs fiches pratiques destinées aux exploitants : évolution prévue des cours, jours et délais d’exploitation selon les phases (semences, récolte, pâture …), changement d’outils, suivi des données … jusqu’à des recommandations, inévitables, de réduction du cheptel ou de la modification de conduite du troupeau. Des approches complémentaires, plus orientées « filière« , sont aussi évoquées, comme avec les achats compensateurs de fourrage.

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Le projet AP3C est en cours, mais les premiers résultats sont séduisants : on comprend que l’initiative est ambitieuse, apparemment bien financée, et qu’elle réunit de nombreux acteurs de la filière agricole. Le travail présenté est – bien qu’assez spécifique – clair et précis, notamment dans le niveau de détail des fiches techniques destinées aux exploitants.

On peut cependant regretter une réflexion à consommation constante (aura-t-on autant besoin de viande en 2050 ? Les habitudes des consommateurs ne vont-elles pas évoluer ?) et, semble-t-il, peu écosystémique : l’approche « filière » privilégiée (on parle beaucoup de « système d’exploitation ») est économique et productiviste. L’eau y est bien sûr primordiale, et « AP3C est un outil technique pour améliorer la gestion de l’eau » rappelle Olivier Tourand. Mais quid des industriels, des villes qui auront aussi besoin de plus d’eau d’ici 2050 ? La réflexion a-t-elle été étendue à tous les acteurs du territoire, et aux espaces naturels comme les zones humides ?

Cette rapide et dense présentation de 1h30 aurait mérité d’être prolongée … ce sera heureusement le cas le 28 novembre pour le colloque annuel AP3C qui se tiendra à VetAgroSup, accessible sur inscription.


Voir la page web dédiée à AP3C avec de nombreuses informations complémentaires