Dans un article de la Harvard Business Review, “Comment naviguer dans la jungle de l’écosystème entrepreneurial”, on trouve cette définition de l’écosystème [il] caractérise un milieu réunissant les conditions pour permettre le développement d’entités vivantes, interagissant entre elles. Qualifié d’oasis, l’écosystème favorable offre à l’entrepreneur, quelle que soit sa maturité, de précieuses ressources. Financières bien sûr mais pas seulement, loin s’en faut. En fonction de son histoire et de sa dimension, il peut être plus ou moins aidant ou au contraire très concurrentiel. Qu’en est il de l’écosystème auvergnat ? quelles en sont les caractéristiques les plus différenciantes ? quels en sont les angles morts ?  Nous sommes allés poser la question à trois profils d’entrepreneurs : un créateur, Antoine Maurin, The Geek’s revolt donc, un repreneur, Miguel Correia Da Silva et une start up, Since & Co Digital, Sylvie Lechauve. Nous interrogerons aussi Romain Siso, pour le CACF (à paraître).

Antoine, quelle est votre histoire ?

’ai 25 ans et j’ai toujours été entrepreneur dans l’âme. J’ai commencé à tester des business à l’âge de 16 ans. A ce moment-là, j’étais plutôt attiré par le milieu de la création de jeux vidéo. J’adore ce milieu. Je considère que c’est un art hyper complet, qui en relie beaucoup. Il faut créer un univers graphique, dans l’espace, imaginer un scénario… Il y a une dimension artistique et de créativité très poussée. Mais c’est un marché dans lequel le ticket d’entrée est énorme. Il y a beaucoup de très gros acteurs, et le développement d’un jeu vidéo demande énormément de moyens humains et financiers, avec un retour sur investissement non seulement risqué mais aussi très long. Les banques ne sont pas très motivées pour financer ce genre de projet un peu ‘impalpable’, à fortiori quand on a à peine 20 ans. J’ai donc vite freiné ce projet-là. J’y reviendrai peut-être plus tard.

Je me suis intéressé au E-commerce. Quand j’avais 17 ans, ça explosait. J’ai fait plusieurs tests et j’ai trouvé que le marché de l’occasion du matériel de jeux pouvait être prometteur. J’ai démarré l’activité chez moi, je faisais tout, à petite échelle. J’achetais, je reconditionnais, je vendais, j’expédiais, … En parallèle de mon boulot d’assistant commercial chez un concessionnaire automobile. C’est ce qui m’a permis de financer mes premiers stocks et de faire de vrais essais. En octobre 2020, c’était le lancement officiel de The Geeks Revolt. Jusqu’en juin, je travaillais de chez moi. J’avais choisi d’habiter un peu loin pour avoir de l’espace et 30m² de mon logement étaient réservés à l’activité.  

Je faisais tout, tout seul. Personne ne venait me dire ce que j’avais à faire. Et puis l’activité a accéléré. Quand je suis arrivé à un chiffre d’affaire de 7k€/mois, j’ai pensé que c’était peut-être le moment d’aller voir une banque et un expert comptable. Aujourd’hui, nous sommes une équipe de 14 personnes.  Et bien sûr, j’ai quitté mon emploi depuis bien longtemps.

Quand on vous parle “écosystème entrepreneurial”, qu’est ce que cela vous évoque ?

(rire) Pas grand chose !  Des mots un peu creux ? ou vagues, pour moi en tout cas.

Dans votre parcours entrepreneurial, avez-vous mobilisé des ressources, financières, d’accompagnement ?

En bien justement, je me suis plutôt débrouillé tout seul. 

Pour deux raisons, je pense. La première étant que je n’avais aucune connaissance de tous ces dispositifs, réseaux, aides … et la seconde, c’est sans doute un léger manque de confiance en moi. Je ne me sentais pas du tout légitime à aller “déranger” des personnes que j’imaginais débordées, que tout le monde aimerait contacter, avec mon petit projet. 

L’avantage étant que cela permet d’acquérir des compétences: il a fallu que je m’intéresse à beaucoup de choses. Mais l’inconvénient, je le mesure maintenant, c’est qu’on peut perdre du temps.

Vous parlez plutôt de personnes, pas d’organismes ?

Oui, d’autres entrepreneurs, plus aguerris, du même secteur d’activité ou pas. Finalement ça a peu d’importance, ce qui compte c’est l’expertise sur des sujets précis. 

Quand les charges de l’entreprise augmentent, il faut être attentif. Surtout quand on commence à avoir des salariés, la responsabilité n’est plus la même. Plus la structure grossit, plus on est amené à aller chercher des compétences additionnelles : j’ai eu la chance de rencontrer un super expert-comptable, il  m’a bien aidé.

Vous aviez un réseau avant de vous lancer ? 

Non, justement, j’ai sous-estimé l’intérêt de s’ouvrir dès le début. Quand on lance un projet en indépendant, on pense souvent “maîtrise technique”. Or, dans la réalité, seuls 50% du temps d’un entrepreneur sont consacrés à la technique. Le reste, c’est … tout le reste : l’administratif, le juridique, le social …

J’ai constaté que, lorsqu’on veut bien s’entourer, il faut d’abord aller vers des gens qui ont une vue d’ensemble. Ensuite, les contacts spécialisés dans un domaine sont très importants et il y a deux façons de les acquérir. Soit en étant accompagné par des entrepreneurs plus expérimentés qui vont généralement dire « attention dans deux mois tu auras besoin de telle ou telle compétence», soit en direct, mais là, c’est souvent quand on est dans le dur et donc sans anticipation ! Aujourd’hui, je suis entouré d’un avocat d’affaires, d’un expert comptable et d’un courtier et puis, avec le développement de mon activité, j’ai commencé aussi à développer mon réseau, progressivement.

En rencontrant d’autres chefs d’entreprise. Il y a une forme de solidarité: on échange, on évoque une difficulté ou une question et on vous dit “appelle X de ma part, il est calé sur ce sujet” et de fil en aiguille, on constitue un réseau de contacts aux compétences pointues.

Je vais quand même rejoindre la CPME, il me semble que c’est un réseau intéressant en termes d’assistance, de conseil et de mise en relation avec des entreprises de taille similaire. 

The Geek’s Revolt s’est développée rapidement. Avez-vous modifié votre approche ?

Oui, en effet. Notre chiffre d’affaires est passé de 80 000 € en 2021 à  850 000€ en 2022 et dépassera le million d’euros en 2023. Fin 2022, nous avons réalisé notre première levée de fonds. C’est mon courtier qui m’a emmené au Crédit Agricole Centre France pour présenter le projet. Je dois reconnaître que j’étais assez loin de ma zone de confort, je n’avais aucune idée de comment se déroulait ce genre d’opérations. A la base, je répare des consoles ! Nous avons été doublement soutenus,  par une entrée au capital et par un prêt.

C’était vraiment enrichissant de découvrir cet univers et cela m’a permis  d’avoir une vision vraiment différente de l’avenir de mon entreprise. 

Quand on ouvre son capital, il faut construire un dossier pour montrer comment l’entreprise va se développer. Cela m’a permis de prendre du recul, de donner une autre ambition, de repenser les axes de développement, … on analyse mieux les choses. 

Que voulez-vous dire par une vision différente ? Des exemples ?

Oui, par exemple, je pensais que c’étaient les résultats bénéficiaires qui permettaient d’investir dans de nouveaux équipements. Et bien pas du tout ! Il ne faut vraiment pas faire ça:  il faut emprunter. Parce que les banques financent plus facilement 200k€ de matériel que 50 de trésorerie. Donc il faut conserver ses excédents. 

L’autre exemple, c’est que je n’avais pas du tout envie de faire entrer des associés dans mon entreprise. Je pensais qu’il allait falloir justifier, composer, … Je suis assez indépendant. Et finalement, l’entrée du Crédit Agricole a beaucoup d’avantages. Notamment parce qu’il amène de la crédibilité au projet et facilite l’ouverture de portes.

Justement, à propos de crédibilité, quel accueil avez-vous reçu au vu de votre jeune âge ?

Mon âge a constitué un très très gros frein au démarrage: j’ai eu du mal à trouver une assurance, un local, un prêt … 

Après, comme souvent, c’est une question de rencontres et de personnes. J’ai eu la chance de tomber sur une conseillère à la BNP à l’époque qui m’a vraiment bien accompagné. Ce qui est drôle, c’est qu’aujourd’hui, ce frein s’est transformé en boost: les gens sont plutôt impressionnés par mon âge.

Et comment voyez-vous l’avenir de The Geek’s Revolt ? 

J’ai plusieurs plans possibles en tête à moyen terme mais j’ai freiné parce que j’ai pris conscience qu’il fallait  stabiliser les bases et restructurer pour être solide, y aller par pallier. Pour l’instant, je consolide mon réseau, j’ai fait mon propre puzzle de compétences et  j’apprends.

Est-ce que vous percevez des avantages ou inconvénients à créer une entreprise ici, en Auvergne ? 

Déjà, je trouve qu’en France, il y a beaucoup de barrières à l’entrepreneuriat, c’est compliqué de créer une entreprise. 

Mais par contre, l’Auvergne a un très gros avantage: il n’est pas nécessaire de s’appeler Michelin pour se faire entendre. Ici, les mises en relation sont faciles. Il y a beaucoup d’organismes qui poussent le développement sur le territoire, je pense à Auverboost, au CACF, à Turing 22, … 

Mais, justement, vous ne les avez pas utilisés …

Non, en effet, ce sont des occasions que j’ai loupé et qui auraient été bénéfiques ! Je sais que je ne suis pas le seul dans ce cas mais il est vrai que, quand on se lance, c’est souvent parce qu’on est passionné par un sujet ou un univers. Et on voit  les dossiers de candidatures comme des démarches administratives, les soirées de type réseau comme des contraintes et une perte de temps. 

Alors que c’est ultra important. On n’imagine pas les erreurs qu’on peut éviter, le temps et les financements qu’on peut gagner en prenant ce temps-là.

Pour finir, votre conseil à ceux qui se lancent ?

Pour moi, il y 3 règles d’or pour garder une vision claire de son entreprise, et éviter de s’embourber en ayant la tête sous l’eau:

  • Savoir déléguer au bon moment
  • Déléguer les bonnes choses aux bonnes personnes
  • Et connaître quelqu’un qui sait très très bien compter !