Christian Vabret est né au sein d’une famille de boulangers et a passé sa vie à défendre ce métier qu’il aime tant. Depuis plus de 50 ans, il suit l’évolution de ce secteur. Face aux enjeux du recrutement et de la reprise des boulangeries en zones rurales, il partage son expérience. Quand le passé permet de mieux comprendre le présent….

Nous allons parler du métier de boulanger et des enjeux actuels, mais avant, parlez-nous un peu de vous Christian Vabret…

 Je suis un pur produit cantalien. Mes parents étaient artisans boulangers, et c’est très naturellement que je me suis orienté vers cette profession. J’ai très vite pris conscience que boulanger n’était pas qu’un métier, mais également un environnement social. J’étais le fils du boulanger, je pouvais rentrer dans toutes les maisons et j’avais plus de copains que les autres car je distribuais des Carambars.

 Dès les années 60, j’ai compris la nécessité d’organiser la transmission du métier. A cette époque, le métier était transmis entre ouvriers ou de père en fils pour l’apprentissage des gestes. Je n’avais que 20 ans, mais je voulais déjà créer mon école.

Quelle école de boulangerie aviez-vous en tête ?

Le métier de boulanger était très apprécié par la population. Néanmoins, il avait une image désuète. On était encore dans le cliché du boulanger avec un peu d’embonpoint, un marcel, une casquette et des pantoufles. Je voulais changer les codes pour valoriser la profession. J’ai pris comme référence les cuisiniers et les pâtissiers. Ils avaient des tenues qui permettaient d’identifier la profession, ce qui n’était pas le cas des boulangers.

Quel a été le déclic pour passer de boulanger à la création d’une école de boulangerie ?

Je me suis dit dès le départ que j’allais me consacrer à l’entreprise familiale. A 20 ans, j’ai repris l’entreprise de mon père, j’ai embauché du personnel et je les ai formés. J’espérais pouvoir sortir de l’entreprise à un moment donné pour voyager et continuer à me former. J’avais l’ambition très claire de décrocher le titre de Meilleur Ouvrier de France.

À l’époque, il n’existait ni presse spécialisée, ni vedette de la boulangerie comme Paul Bocuse dans le secteur de la restauration. C’était mon modèle et mon idole. C’est lui qui a permis d’exporter la cuisine française en participant à l’installation de grands chefs partout dans le monde. MOF, c’était la seule reconnaissance dans le métier de boulanger qui offrait autant d’aura.

Et vous avez atteint votre but ! Vous êtes un MOF !

Dès que j’ai eu cette reconnaissance, j’ai rassemblé mes autres collègues et je leur ai présenté mon projet de participer à l’évolution de la formation continue. Je me suis obstiné à créer une école Aurillac malgré de nombreuses sollicitations pour la créer ailleurs.  

Comment est-ce que l’on finance un projet aussi fou que celui-ci ?

Je voulais créer la coupe du monde de la boulangerie pour que cela puisse participer au rayonnement de  la profession. J’y suis allé au culot. À l’époque, EDF finançait les Bocuses d’Or, je leur ai présenté mon projet et ils y ont vu un intérêt. C’était le plein boom des centrales nucléaires et il y a avait une sous-consommation d’électricité la nuit.

En soutenant la Coupe du Monde de Boulangerie, ça leur a permis de lancer une grande campagne de communication sur les fours électriques pour les boulangers qui étaient une grande nouveauté. Nous utilisions plutôt le bois, le gaz ou la gasoil dans les années-là. 30 ans après, cette coupe du monde existe toujours, et n’a pas pris une ride.

Votre école de boulangerie « Christian Vabret » est assez spéciale. Elle ne forme que des publics en reconversion professionnelle, pourquoi ce choix ?

J’ai des principes. Je suis convaincu que les formations de base comme le CAP sont du ressort des CFA. Au départ, mon école était destinée à la formation continue des boulangers. Je voulais qu’ils puissent venir faire des stages et des formations de perfectionnement pour se mettre à jour et pour développer de nouvelles compétences.

Il y a 20 ans, j’ai identifié une tendance naissante, celle de la reconversion professionnelle. On voyait arriver des personnes de 35 ans qui avaient déjà exercé un autre métier et qui se tournaient vers la boulangerie. Ils avaient un profil et des attentes très différentes des élèves d’un CFA.

J’ai voulu développer une qualification professionnelle pour ces nouveaux entrepreneurs.

Qui sont ces nouveaux entrepreneurs ? 

Ils ont des profils variés, souvent des cadres, avec un véritable projet professionnel en tête. Ils ne viennent pas ici par hasard. Nous créons des petits groupes pour qu’il y ait de l’émulation entre eux. On les forme pendant 6 mois, ensuite, on leur recommande d’aller en entreprise quelques années pour découvrir les différentes facettes du métier avant de monter leur propre projet. Dans chaque promotion, nous avons une bonne partie de nos apprenants qui souhaitent s’installer à l’étranger.

On lit souvent que certaines boulangeries ne trouvent pas de repreneurs dans les petites villes d’Auvergne. Est-ce que cela est dû à l’image du métier de boulanger ? Les journées à rallonges, le travail de nuit et le week-end ?

Le métier a énormément évolué. Elle est terminée l’époque où les boulangers passaient douze heures en sous-sol à cuire du pain. Désormais, la production se fait de plain-pied, elle est même de plus en plus visible directement du magasin.
Les horaires de travail ont également changé. À mon époque, nous travaillions de nuit de 9h00 du soir à midi le lendemain.

C’est le contrôle du froid qui a révolutionné notre métier. Aujourd’hui, grâce à la température, on peut maîtriser la fermentation de la pâte et la conserver. Par ailleurs, la demande est aussi différente. Les gens veulent du pain frais le soir. On cuit plus de pain en fin de journée que le matin dans les grandes.

On entend souvent les gens râler quand ils constatent qu’une boulangerie ouvre à 8 heures et qu’elle est fermée le dimanche. Les nouveaux boulangers ne veulent plus sacrifier leur vie pour leurs clients ?

Aujourd’hui, le boulanger impose un peu sa philosophie de vie. Dans les années 60, nous étions entièrement au service du client. Nous faisions la poste publique et plusieurs métiers de service autour de la boulangerie. Nous avions des amplitudes d’ouverture de 6 h du matin à 9 heures le soir. 

De plus en plus de nouveaux entrepreneurs ont une philosophie complètement différente. Ils n’ont pas forcément de boutiques. Beaucoup produisent, vendent sur les marchés et dans les magasins de proximité. Ils veulent du temps pour faire autre chose, pour se consacrer à d’autres projets. Toute la question est de savoir si ce type de modèle économique est viable dans le temps. Je suis de loin quelques installations en zones rurales et il semblerait que ça fonctionne plutôt bien. Bien entendu, on n’est pas sur les mêmes niveaux de rémunération qu’un cadre parisien.

Certains secteurs peinent à recruter, la boulangerie en fait partie. Est-ce que c’est un sujet de préoccupation de votre filière ?

Oui. C’est notre sujet principal. Il y a plusieurs explications à cela. D’abord, il y a un vrai déficit d’éducation au sens large. Beaucoup de jeunes décrochent parce qu’ils ont du mal à sortir de leur cocon familial. Ils vont trouver ça trop dur, se démotiver très rapidement, et derrière, les parents laissent faire, ne les poussent pas à persévérer.

C’est vraiment dommage, parce que après un CAP, ces jeunes pourraient faire des formations complémentaires pour leur permettre d’accéder à des postes avec de très bons niveaux de rémunération.

Le sujet n’est pas qu’une question de rémunération, mais de conditions de travail. Peut-être qu’il faut les faire évoluer pour fidéliser les jeunes ?

Les boulangeries artisanales sont de très petites structures. 4 ou 5 salariés en moyenne. Tout le monde est responsable et responsabilisé. Il y a de la solidarité, de l’esprit d’équipe. Je ne pense pas que le problème vienne de là. La rémunération est un enjeu certain, et c’est aussi l’image de la boulangerie qu’il faut travailler.

Autre sujet, et c’est assez paradoxal. D’un côté, on voit des entrepreneurs qui produisent du pain paysan à l’ancienne et de l’autre, on voit des nouvelles chaînes de boulangeries qui se déploient comme des start-ups dans certaines grandes agglomérations…

Oui et c’est un problème. Les grandes chaînes de boulangerie par exemple, sont l’exemple même d’un modèle que je ne soutiens pas. C’est de la spéculation financière. On grossit vite dans le but de se faire racheter par un plus gros. Ces chaînes ne laissent aucune place aux boulangers artisanaux qui souhaiteraient s’installer. Elles ont des capacités financières telles que les autres n’ont aucune chance quand il s’agit de racheter un fonds de commerce. Cette uniformisation de la boulangerie n’est pas souhaitable pour notre pays.

C’est l’instant carte blanche quelque chose à ajouter ?

Oui. Même si cela peut sembler utopique, j’aimerais que l’on ait la même logique de maillage du territoire pour les boulangeries comme il se pratiquait avec les pharmacies pour un bon approvisionnement du pain en France. Si on veut développer la vie sur nos territoires, nous avons besoin de boulangeries artisanales. Je vois fleurir des distributeurs de pain dans les petites communes, c’est un pansement pas une solution. Les boulangeries des campagnes n’ont pas la possibilité de se diversifier aussi bien que la boulangerie urbaine avec le système de grignotage et de petite restauration en particulier à midi. Il faut trouver un modèle économique viable pour le boulanger en milieu rural. La boulangerie artisanale est un lien social très fort qui contribue au bien-vivre des habitants sur tout le territoire et à l’image d’une gastronomie saine et en harmonie avec son environnement.