Ou comment s’organise la recherche universitaire, avec Vanessa Prévot, Vice-Présidente Recherche de l’Université Clermont Auvergne  

Je ne me suis pas méfiée : le titre était sympa, l’idée attractive.  Dans le cadre de la Clermont Innovation Week 2023, l’Université Clermont Auvergne invitait à assister à la restitution de projets scientifiques financés par le projet I-SITE (*) CAP 20-25 (**) dans le cadre de son programme EMERGENCE(***). « Les lauréats présenteront leurs projets novateurs par rapport à l’état de l’art et aux sujets en cours dans les laboratoires auvergnats, en soulignant les enjeux actuels dans des domaines scientifiques variés. Ce sera l’occasion pour les lauréats d’échanger avec la communauté et le public autour de projets exploratoires présentant un niveau de risque élevé. » Chouette.

Au Connecteur, cette idée qu’il se passe des choses vraiment passionnantes dans les labos de recherche clermontois nous fascine. Et surtout, le fait qu’on n’en sache rien, nous commun des mortels.

A la fois, l’exercice est bien difficile. Peut-être, le diable est toujours dans le détail, la phrase qui invite « le public ET la communauté » à échanger aurait-t-elle dû éveiller ma vigilance. Même s’il y a une réelle envie du côté des organisateurs, il est tout à fait impossible d’harmoniser un discours qui satisfasse, à la fois une communauté scientifique et soit intelligible pour le «public».  

Valoriser versus vulgariser

Ce sont donc des travaux de recherche, sur des sujets ultra pointus, pour lesquels je n’ai aucune compétence, pas même le début de commencement d’un socle de culture scientifique qui me permettrait de suivre le cheminement. Bref, un grand moment de solitude à entendre parler de kinases, de dried blood spots, de parasites intracellulaires, …

De fait, cet événement a été plutôt l’occasion de prendre conscience de la structuration, de la densité et de la dynamique de la recherche universitaire sur le territoire. Et de faire une petite piqure de rappel sur tous les mots de la première phrase qui décrivent une forme d’organisation de plus en plus structurée.  

C’est donc Vanessa Prévot, Vice Présidente Recherche de l’UCA qui a accepté de répondre à quelques questions.  Elle est  aussi animatrice du CAP3S, le comité d’animation et de suivi de la politique scientifique de site, qui représente tous les établissements d’enseignement supérieur du site, sur le volet recherche (INRAE, Vetagro, INP, …). Elle a donc une vision large de l’activité de recherche universitaire du territoire et nous permet d’en (re) balayer les grandes orientations et structurations.

I-Site. Petit rappel, de quoi parle-t-on ?

Financé par le Programme d’investissements d’avenir (PIA), le label ISITE attribué, notamment, à l’Université Clermont Auvergne, a pour but de soutenir la recherche et l’innovation en France.  ISITE signifie « Initiative Science-Innovation-Territoires-Économie » et 17 universités françaises en bénéficient.

Vanessa Prévot « La spécificité du label I Site (par rapport à IDEX) porte sur cette double relation. Le projet Isite a été construit sur une interaction forte entre innovation et territoires. L’idée est bien de trouver des thématiques sur lesquelles le site Universitaire a un poids en matière de nombre de chercheurs et de rayonnement national et international mais aussi de créer les conditions d’une interaction avec le monde socio économique. La  porte d’entrée n’est donc pas seulement l’excellence scientifique mais un mélange entre les deux dimensions. » Ainsi, le dossier de l’UCA a été soutenu par les grands acteurs institutionnels  mais également économiques de la région, comme  Michelin, Limagrain, les pôles de compétitivité CIMES et Végépolys Valley,…

Le projet global CAP 20-25: concevoir des modèles de vie et de production durables

Le projet du site est structuré autour d’un axe de recherche global « innovation multimodale pour concevoir des modèles de vie et de production durables ». Il se traduit en  quatre challenges stratégiques de recherche. « Ils partagent une approche centrée sur l’humain et soulignent l’importance d’une forte résilience des écosystèmes, des êtres humains ou des sociétés pour aller vers le progrès » (source site Cap2025). Ces « challenges » ont été rebaptisés CIR: Centres Internationaux de Recherche. Pour mémoire, ce sont

Vanessa Prévot « L’idée des CIR est d’interconnecter les disciplines scientifiques en favorisant la pluridisciplinarité. Dans un contexte de sauts technologiques importants et grâce aux moyens apportés, l’enjeu est de permettre à ces communautés de chercheurs de rester au niveau et surtout de travailler ensemble en créant plus d’interfaces. Cette force collective permet d’aller vers international, vers le monde économique et de mieux identifier les forces du site. CAP 20-25 agit comme un accélérateur de cette pratique de collaboration.« 

EMERGENCE: quelle place dans la politique scientifique du site ?

« Si CAP 2025 fait partie de CAP 3S, le comité d’animation et de suivi de la politique scientifique de site, et en  représente les points forts, ça n’est qu’une partie de l’activité de recherche du site« .  Et c’est tout l’enjeu du programme Emergence. Depuis 2017, il finance une vingtaine de projets en amorçage, mobilisés via un appel à projet .  Il s’agit « d’étendre la notion d’excellence de CAP 20-25 à l’ensemble du site Auvergnat afin d’englober de nouveaux enjeux et problèmes scientifiques. […] et de soutenir des projets à haute valeur ajoutée,  exploratoires, avec un niveau de risque élevé, susceptibles de mener à des découvertes potentiellement déterminantes. Y compris ceux qui n’entrent pas dans le concept d’ « innovation multimodale pour concevoir des modèles de vie et de production durables», fil rouge de CAP20-25. »

RESSOURCER LA RECHERCHE

Pour Vanessa Prévot, l’enjeu est de « ressourcer la recherche. D’autres activités, tout aussi pertinentes, ont besoin d’être accompagnées, identifiées et de se sentir embarquées dans le projet CAP 20-25. Emergence vient donc en appui de projets en rupture, positionnés en amont de l’innovation. Souvent les idées peuvent avoir l’air farfelues et on se rend compte, 10 ans après, qu’elles ne l’étaient pas. »

En 6 ans de labellisation I-Site, quels seraient les  marqueurs principaux du chemin parcouru ?

Pour résumer, deux éléments principaux. D’une part, le site a gagné en identification et en visibilité au niveau national et international. Et d’autre part, les pratiques de travail collectif et de mutualisation se sont renforcées et surtout étendues à des approches plus transversales, moins en silos.

Et les enjeux de collaborations à renforcer ?

Pour Vanessa Prévot, elles se situent sur 3 niveaux.

Rayonnement académique

« D’un point de vue académique, l’excellence est dans les labos. Pour maintenir cette excellence, en recherche fondamentale, c’est tellement pointu qu’il faut être particulièrement connectés à nos communautés au niveau national et international. Pour rester au niveau mais aussi pour avoir accès à des équipements de pointe qui permettent d’aller au-delà des limites qu’on peut avoir sur un site« 

Lien sociétal

D’un point de vue sociétal, il faut poursuivre le travail d’interface entre recherche et société. Il faut qu’on explique ce que l’on fait et pourquoi on le fait. Et que l’on réfléchisse à comment intéresser le grand public. Par exemple, aujourd’hui, on n’a pas réussi à attirer beaucoup d’extérieurs,  alors qu’on parlait projets émergents.

Si je peux me permettre, heureusement, c’est quand même très aride !

Pourtant, les chercheurs présentent leur projet brièvement et sans entrer dans les détails  mais c’est vrai, c’est pointu. Il est toujours complexe de trop vulgariser. Et si on le fait, cela nuit à l’interdisciplinarité des échanges, entre labos et équipes de recherche. Donc sans doute qu’on ne peut pas mélanger les publics en effet. D’ailleurs, c’est l’ambition du label «Science avec et pour la société » et l’objet même du CESPAU, le Centre d’Excellence de Science Partagée en Auvergne, qui développe des formats spécifiquement adaptés au grand public, aux enfants, …

Il y a d’ailleurs plusieurs événements dans ce sens, durant la CIW. Les balades en calèche avec des scientifiques, des visites de labo de Sigma... Il y avait d’ailleurs, en même temps, au jardin Lecoq, « Speed Searching, la science au rendez-vous », destiné au grand public. Pauline raconte ici

Interactions socioéconomiques

Et enfin, le volet innovation. Il faut intensifier les passerelles et voies d’échanges ver le monde socio économique. L’Université dispose d’équipements extraordinaires et d’expertises qu’il faut davantage valoriser. Il est nécessaire de mieux se connaitre pour ne plus passer à côté d’opportunité, juste parce qu’on ne se connait pas assez. Et ça, c’est une des fonctions du PUI et de Clermont Auvergne Innovation. Des outils qui vont nous permettre de compléter ces deux aspects.

Peut-être une nouvelle étape pour CAP 20-25

CAP 20-25 est en attente des résultats de sa réponse à l’appel à projet ExcellencES, structurée autour de 4 grands axes :

  • La création d’un Club d’Entreprises à l’image de celui de Savoie Mont Blanc
  • Le développement des conditions favorables à l’innovation partenariale
  • La transformation des pratiques pédagogiques
  • La rénovation de la politique de ressources humaines

Résultat attendu d’ici l’été. Stay tuned.