Pendant des décennies, les industries ont fait peu de cas de l’impact environnemental de leurs activités.
Alors que le foncier devient de plus en plus rare en zones urbaines, la nécessité de dépolluer d’anciennes zones industrielles s’accentue.
Pour ce faire, la filière de dépollution innove pour proposer des solutions, notamment basées sur les biotechnologies. Julien Troquet est le fondateur de Biobasic Environnement. Il oeuvre depuis plus de 20 ans dans le secteur de la dépollution des sols et des eaux.

Vous allez nous expliquer comment fonctionne concrètement la dépollution des sols. Avant de débuter, voici la question que nous posons à tous nos invités en début d’interview : Racontez-nous un peu votre vie.

Je suis né en Auvergne. Après un parcours scientifique au lycée, j’ai intégré le département Génie Biologique d’une école d’ingénieur universitaire. Elle est située sur le campus des Cézeaux et s’appelle aujourd’hui Polytech Clermont. J’ai toujours été attiré par les domaines de l’environnement et de la biologie.
Dans le cadre de mon cursus en Génie Biologique, j’ai eu l’opportunité de faire quelques stages dans le domaine du traitement des eaux. A la fin des années 90, une toute nouvelle problématique est apparue : la dépollution des sols.

Dans ce contexte, pendant les deux dernières années de ma vie étudiante, je me suis interrogé sur les solutions à mettre en œuvre pour traiter les sols pollués : comment développer une technique de dépollution de sol “in-situ” par voie biologique, sans avoir besoin d’excaver les sols ? C’est une technique relativement douce qui permet de traiter de grandes surfaces à des coûts acceptables. C’est celle que nous avons développée avec Biobasic Environnement.

Que voulez-vous dire quand vous parlez de dépollution “in-situ” et d’excavation ?

Pour traiter un sol pollué, il existe deux types de solutions. On peut enlever la terre polluée pour ensuite la traiter. C’est ce que l’on nomme la dépollution “ex-situ”. L’autre technique, consiste à faire ce travail directement sur site, c’est la technique “in-situ”. 

Pour mieux visualiser, il faut comprendre de quoi le sol est fait. Il est généralement composé de deux tranches distinctes. Une couche de surface (qui peut faire quelques mètres à quelques dizaines de mètres), non saturée en eau, que l’on appelle la zone non saturée. Sous cette couche, plus en profondeur, se trouve la zone saturée en eau, qui constitue les nappes phréatiques (qui sont notre réservoir d’eau).

Dans de nombreux cas, les pollutions se situent en profondeur et impactent la zone saturée en eau. Il est alors plus compliqué d’excaver les sols pour traiter la pollution. C’est pour cette raison que les techniques « in-situ » peuvent être préférées dans ce type de situations.

Revenons à vos débuts. Vous terminez vos études, et finalement, vous créez très rapidement Biobasic Environnement. Pour quelles raisons ?

Au début des années 2000, le marché était naissant et les études montraient que celui-ci n’était pas mature. Aussi, lorsque je suis allé taper à la porte des grandes compagnies de l’environnement, elles ne se sont pas montrées réellement intéressées. A l’époque, la dépollution des sols par voie biologique paraissait un peu utopiste.
C’est pour cette raison que j’ai décidé de créer mon entreprise dans la foulée. J’ai ainsi pu continuer à faire de la R&D sur ce thème.

Au début des années 2000, j’ai été lauréat du second concours national d’aide à la création d’entreprises de technologies innovantes, qui s’appelle aujourd’hui I-Lab. Ça m’a permis de franchir un cap.
Nous avons ainsi pu valider l’extrapolation à échelle réelle de notre procédé. Cela signifie qu’après avoir obtenu des résultats concluants avec quelques kilos de terre dans un laboratoire, nous avons pu vérifier que les conclusions étaient identiques sur site. 

Nous avons ensuite pu mettre notre solution rapidement sur le marché grâce à un autre concours européen. Il avait pour thème « l’innovation technologique au service de l’amélioration de la vie en milieu urbain ». Nous avons été lauréat du premier prix en 2001.
La Fondation Altran pour l’innovation qui soutenait ce concours, nous a alors mis à disposition des moyens humains pour accompagner notre développement. Nous étions deux, et nous sommes passés à six du jour au lendemain.

Est-ce que vous pouvez nous expliquer les activités de Biobasic Environnement?

Au départ, j’ai créé la société pour proposer des procédés biologiques de dépollution de sites “in-situ”. Désormais, nous avons une approche plus complète sur l’ensemble du domaine de la gestion et de la réhabilitation des sites et sols pollués. Nous intervenons également sur l’ensemble de la chaîne de valeur, du diagnostic jusqu’à la mise en œuvre de solutions de remédiation.

On commence toujours par un diagnostic de pollution. Nous faisons des prélèvements et des analyses afin d’évaluer l’état des sites. Si le diagnostic met en évidence l’existence d’une pollution, nous évaluons ensuite la compatibilité de l’état du site avec les usages réels ou envisagés. On réalise alors des analyses des risques sanitaires.

En cas d’incompatibilité, il faut traiter la zone source de pollution. On doit alors sélectionner la technologie (biologique, chimique, physique) et la méthodologie de mise en œuvre (“in-situ” ou “ex-situ”) les plus adaptées.

Le choix varie en fonction de nombreux critères, dont deux principaux : la nature de la pollution et l’usage à venir qui conditionne l’objectif de dépollution. Si l’on veut construire un établissement accueillant du public ou des logements, les objectifs de dépollution définis sur la base de l’évaluation des risques sanitaires seront beaucoup plus stricts que pour la construction d’un bâtiment à usage industriel, par exemple. 

Avec Biobasic Environnement, vous êtes spécialisé dans la dépollution par bioremédiation, qu’est-ce que cela signifie concrètement, et simplement ?

Les polluants très fréquemment rencontrés aujourd’hui, sont les hydrocarbures et les solvants chlorés. Ce sont des polluants organiques qui peuvent impacter les sols sur de grandes profondeurs. On rencontre également des pollutions inorganiques, par les métaux lourds par exemple, qui concernent généralement plutôt les sols de surface.

Les technologies de bioremédiation fonctionnent très bien pour traiter les sols pollués par les hydrocarbures notamment. Les micro-organismes du sol ont la capacité de digérer les hydrocarbures. En effet, ils oxydent les chaines de carbone et d’hydrogène qui les constituent. Cette oxydation permet de biodégrader les polluants en produisant du dioxyde de carbone, de l’eau et de la biomasse. 

Cette technologie, basée sur l’utilisation du métabolisme des micro-organismes est peu coûteuse, mais demande du temps. Il faut laisser la nature faire son travail pendant plusieurs mois, voire plusieurs années.
Pour accélérer le processus, il faut fournir de l’oxygène et des nutriments aux micro-organismes. Pour cela, on réalise des forages sur site qui permettent d’injecter de l’air ou des peroxydes par exemple ; ce sont des molécules qui libèrent de l’oxygène de façon lente et continue dans le sol.

Pourquoi les sols sont-ils pollués ? C’est la conséquence de quoi exactement ?

C’est le résultat de plus d’un siècle d’ère industrielle. Pendant cette période, nous avons eu une industrie forte qui prenait peu en compte l’environnement. On a d’abord pris conscience des dangers liés à la pollution de l’air ou de l’eau avant de s’intéresser aux sols. La pollution des sols est plus discrète, presque invisible. Si bien que les sols ont servi, pendant très longtemps de réceptacle de différentes pollutions (enfouissement de déchets, épandage de liquides, etc…)

Est-ce que les nouvelles industries continuent de polluer de la même manière aujourd’hui ? 

Le risque zéro n’existe pas. Il peut y avoir des accidents ou des incidents susceptibles de générer une pollution localisée, mais les pratiques industrielles n’ont plus rien à voir aujourd’hui avec celles du siècle dernier. J’ai vu une vraie évolution dans la prise de conscience de l’impact environnemental sur les vingt dernières années. 

Toutefois, aujourd’hui encore, certaines entreprises, par leur méconnaissance du sujet, peuvent polluer sans réellement s’en rendre compte. Par exemple, si vous stockez des bidons d’huile usagée à l’extérieur, directement sur de la terre battue, vous prenez un risque notable. Les bidons ne sont jamais totalement hermétiques. En période pluvieuse, l’eau va s’infiltrer dans les bidons et comme l’huile est plus légère que l’eau, l’eau fini par remplacer l’huile qui s’écoule en dehors et s’imprègne dans le sol.

Si les entreprises sont plus vertueuses, sur le plus ou moins long terme, on finira par avoir tout dépollué, non ?

Au contraire, aujourd’hui, les besoins sont immenses. Dans le cadre du plan de relance, un fond vient d’être créé pour la réhabilitation des friches. Il concerne principalement les opérateurs publics. Pour limiter l’étalement urbain et respecter l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN), on doit reconstruire la ville sur la ville. Il faut donc faire muter d’anciennes zones industrielles en nouveaux quartiers d’habitation et prendre en compte les aspects relatifs à la pollution des sols.

Nous manquons de visibilité sur les surfaces polluées au niveau national. Il existe des bases de données qui recensent des sites, mais beaucoup passent sous les radars. Je dirais qu’aujourd’hui, on ne connaît que la partie émergée de l’iceberg.

On parle beaucoup d’agriculture urbaine en ce moment. Quel niveau de traitement est nécessaire pour pouvoir cultiver en zone industrielle potentiellement polluée ? 

A ce jour, on doit généralement combiner dépollution des sols et apport d’une couche de terre saine pour permettre cet usage.

Le coût de dépollution est-il une des raisons pour lesquelles certaines friches restent à l’état de friches ?

Si un propriétaire souhaite vendre un terrain, il doit informer l’acheteur sur l’état des sols au moyen d’un diagnostic de pollution. Si les résultats montrent l’existence d’une pollution, il est de sa responsabilité de traiter les sols. Cela a un coût. Il faut compter entre 50 et 150 euros par tonne de terre selon la nature de la pollution, voire au-delà dans certains cas. Il existe ainsi des sites qui présentent une valeur foncière négative. Leur coût de dépollution étant supérieur à la valeur initiale du bien immobilier.

Quels sont les prochains enjeux de la dépollution des sols ? Y-a-t-il de nouveaux marchés en émergence ?

Effectivement, c’est un secteur qui évolue. On a aujourd’hui ce que l’on appelle des polluants émergents. Avec le progrès technologique dans l’analyse et le diagnostic, on devient de plus en plus efficace dans l’identification de ces polluants. On découvre de nouvelles molécules que l’on sait nocives à partir d’une certaine concentration. 

Par exemple, les PFAS, substances per- et polyfluoroalkylées. Elles forment une famille de plusieurs milliers de molécules abondamment utilisées dans les produits domestiques du fait de leurs propriétés. Elles sont ignifuges, hydrophobes et lipophobes et se retrouvent aujourd’hui largement dans l’environnement. Ces molécules sont connues sous le nom de « produits chimiques éternels » (forever chemicals), car elles sont extrêmement persistantes dans l’environnement ; elles s’avèrent également très toxiques.

C’est pour cette raison que nous continuons d’avoir une activité de R&D soutenue chez Biobasic Environnement. Nous voulons faire progresser nos technologies et répondre à ces nouvelles problématiques.

C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter ?

Une citation de François Mauriac que j’aime bien. Elle résume mon engagement et qui nous donne à réfléchir : « Il ne sert à rien à l’Homme de gagner la Lune s’il vient à perdre la Terre ».

Cette phrase est terriblement d’actualité. Je pense que nous devons collectivement prendre conscience de l’impérieuse nécessité de préserver notre environnement.

Dans la tête de Julien de Biobasic Environnement

Ta définition de l’innovation : Frugale et biomimétique ! faire mieux avec moins en s’inspirant de la nature.

Une belle idée de start-up :  PlayMoovin’, créée par Sébastien Passemard, qui contribue à la démystification du fauteuil roulant et permet la sensibilisation au handicap et l’accès au Sport pour Tous !

La start-up qui monte :  Deux start-up de chimie verte locales, Afyren et Metabolic Explorer devenue une ETI en une vingtaine d’années.

Où est-ce que tu vas à la pêche à l’info :  Dans les articles, journaux et congrès scientifiques ; sur LinkedIn et au sein de réseaux professionnels et pôles de compétitivité comme Axelera par exemple qui permettent de précieux échanges d’expertise.

Une recommandation pour s’instruire (livre, podcast, magazine, série) : L’émission La terre au carré sur France Inter en direct ou en podcast !
Une BD : Le Monde sans fin, miracle énergétique et dérive climatique de Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici.

Une recommandation pour rire (livre, podcast, magazine, série) : Une sortie théâtre : Fabrice Luchini, Des écrivains parlent d’argent !

une femme qui t’inspire/experte :  Jane Goodall pour ses actions remarquables en faveur de l’environnement et de la biodiversité.

L’Auvergnat.e d’ici ou d’ailleurs avec qui tu aimerais bien boire un coup : Julian Alaphilippe (double champion du monde !) avec lequel je partage la passion du vélo sous toutes ses formes.