Le court-métrage permet de s’emparer des sujets qui touchent notre société à l’instant T. La vieillesse et la solitude s’invitent dans la programmation du Festival du Court Métrage International de Clermont-Ferrand. Pour nous en parler, Isabelle Senecal, en charge du plaidoyer, de l’association Le Petits Frères des Pauvres. Elle voit dans la culture, la possibilité de faire entendre le cri silencieux des plus fragiles.

Avant d’aborder la place des “vieux” dans la société, pouvez-vous nous parler de votre parcours depuis la crèche ?

Isabelle Sénécal : Je suis originaire de Normandie et j’ai habité dans plusieurs régions dont la région parisienne. À l’origine, je ne viens pas du tout du milieu associatif. En fait, j’ai suivi des études dans le domaine de la communication et j’ai pendant longtemps travaillé dans l’industrie musicale. Il y a 15 ans, j’ai commencé à réfléchir à ce que je voulais vraiment faire dans ma vie. Je me suis orientée vers le secteur associatif pour être en adéquation avec mes valeurs.

C’est comme cela que j’ai intégré les Petits Frères des Pauvres. J’ai tout de suite adhéré à cette cause. Les problématiques liées au vieillissement de la population sont des réalités auxquelles nous sommes tous confrontés, notamment en regardant nos proches âgés vieillir.
Depuis 2009, j’ai évolué au sein de l’association. Il y a deux ans, après avoir passé plusieurs années en région parisienne, je me suis installée dans le Cantal. J’y exerce une double fonction : la responsabilité nationale du plaidoyer pour les Petits Frères des Pauvres et la communication pour la région Auvergne-Rhône-Alpes. 

Quels sont les fondements de l’association les Petits Frères des Pauvres ?

Isabelle Senecal : L’association Les petits frères des Pauvres a été créée en 1946 par Armand Marquiset. Dès ses débuts, les missions de l’association étaient clairement définies : venir en aide aux personnes âgées en situation d’isolement et de précarité. Juste après la guerre, cette problématique n’était pas considérée comme prioritaire, car la France devait se reconstruire. Il s’agissait de créer un lien social et de développer le relationnel. L’association visait à aller bien au-delà de l’aide matérielle et d’offrir « des fleurs avant le pain ». C’est-à-dire de leur offrir du superflu, comme la possibilité de partir en vacances. 

L’association s’est également penchée sur les problématiques de grande précarité, similaires à celles rencontrées par les personnes âgées. Depuis les années 90, elle s’occupe aussi des personnes en grande précarité âgées de 50 ans et plus.

Pouvez-vous nous donner vos définitions sur la solitude, l’isolement et la précarité ?

Isabelle Senecal : Bien sûr. Commençons par la solitude. La solitude, c’est un ressenti, c’est se sentir seule même en présence d’autres personnes. 

Ensuite, l’isolement, c’est quelque chose de plus mesurable. Il se définit par le nombre de contacts qu’une personne a, ainsi que la fréquence de ces contacts au sein de son réseau de sociabilité. Ce réseau peut inclure la famille, les amis, le voisinage, le tissu associatif, et même le milieu professionnel pour les personnes en activité. Les Petits Frères des Pauvres prennent également en compte le numérique, les contacts avec les professionnels du médico-social et les interactions avec les commerçants. 

Enfin, la précarité. Elle est protéiforme. La précarité relationnelle est souvent une dimension négligée. La précarité financière, plus connue, est définie par des critères communs comme le seuil de pauvreté. Au sein de l’association, nous nous intéressons à toutes ces formes de précarité : relationnelle, financière, énergétique, celle concernant le logement, alimentaire, etc. C’est un ensemble complexe à observer.

La région Auvergne-Rhône-Alpes a-t-elle des spécificités en matière d’isolement et de précarité ?

Isabelle Senecal : Selon les données de l’INSEE, la France, en général, est vieillissante, et l’Auvergne particulièrement. La région est en pleine transition démographique. Une part de plus en plus importante de la population est âgée de 85 ans et plus. Concernant la pauvreté des personnes âgées de 75 ans et plus, environ 10% vivent dans la pauvreté en Auvergne. 

Globalement, dans les villes, l’isolement se manifeste par le fait de vivre les uns à côté des autres sans avoir de contacts ce qui est typique des métropoles. Dans les quartiers prioritaires de la ville (QPV), la situation est encore plus difficile. En milieu rural, il existe une solidarité de voisinage. Néanmoins, certains territoires peuvent faciliter l’isolement, notamment les territoires de montagne et les zones enclavées, avec des problématiques de déplacement, les déserts médicaux, et la disparition ou la raréfaction des commerces de proximité, même si des efforts ont été faits.

Quelles sont les préconisations des Petits Frères des Pauvres et celles de votre plaidoyer pour la vieillesse ?

Isabelle Senecal : Notre mission est de rendre les problématiques évoquées, visibles dans le cadre de notre mission sociale qui consiste à témoigner et à alerter.  Nous pensons qu’il est important de changer notre perception sur le rôle des personnes âgées dans la société et cesser d’opposer les jeunes et les vieux. Les personnes âgées participent pleinement à l’économie du pays, elles sont souvent un soutien financier pour les petits enfants et composent la majorité des bénévoles dans les associations. 

Il est aussi essentiel que les pouvoirs publics s’emparent vraiment de ce sujet. La vieillesse reste encore tabou et on a longtemps été dans un déni face aux projections démographiques. Aujourd’hui, les personnes de 65 ans et plus représentent 21% de la population, et les 60 ans et plus, 26%.
Au niveau politique, il y a eu une accumulation de rapports mais on attend toujours depuis 15 ans une loi sur le grand âge. On ne peut pas construire une société cohérente sans prendre en compte toutes ses composantes.

Est-ce que les lignes sont en train de bouger ? Est-ce qu’il y a des raisons de se réjouir ?

Isabelle Senecal : Il y a  eu une prise de conscience du grand public sur la vieillesse, notamment à travers la crise du Covid. Quant à la prise de conscience politique, elle est réelle, au niveau local. Dans les départements et les communes, les élus sont très conscients de la situation, mais ils sont limités par des contraintes budgétaires, ce qui suscite de véritables interrogations. 

On constate aussi quelques efforts de revalorisation pour les métiers du maintien à domicile. Pourtant, aujourd’hui, les conditions de travail restent difficiles, avec des problèmes de recrutement, de faibles salaires, et des déplacements compliqués et fatigants. 
Par ailleurs, le fonctionnement des EHPAD est en difficulté. Le secteur public ou associatif cherche l’équilibre financier. Quant au secteur privé, le modèle d’entreprises comme Orpea est très problématique quand la recherche de toujours plus de bénéfices se fait au détriment de la qualité de la vie des résidents. D’ailleurs, on constate que le sujet de la vieillesse est principalement abordé quand il y a une crise ou un scandale. il est invisibilisé le reste du temps.

Avez-vous connaissance d’initiatives innovantes autour du sujet des personnes âgées et de la vieillesse ?

Isabelle Senecal : Oui, il y a plusieurs initiatives intéressantes, bien que chacune présente ses propres limites. Prenons l’exemple du logement intergénérationnel. C’est une bonne idée, mais dans la pratique, on remarque qu’il y a plus de jeunes en recherche que de personnes âgées demandeuses. 

Par ailleurs, cette solution n’est pas adaptée pour le milieu rural, car il s’agit souvent d’étudiants. Il existe aussi des startups qui tentent de faire du « matching » entre générations, mais cela ne fonctionne pas très bien. Concernant les résidences seniors, elles ne sont pas accessibles à tout le monde en raison de leur coût. Les résidences autonomie, quant à elles, sont moins coûteuses, mais ne conviennent pas aux personnes en situation de dépendance.

ll existe également des initiatives municipales pour créer des logements dans la commune où la personne âgée a son propre espace, tout en restant à proximité de son ancien lieu de vie. Ces logements disposent de professionnels mutualisés pour l’animation et le soin, mais cela nécessite un budget conséquent. 
Ces expérimentations sont généralement satisfaisantes et ont permis à certaines communes de revitaliser leur environnement en attirant des commerçants ou des professionnels de santé. Pour autant, elles sont rarement pérennes. Il existe trop de dispositifs de soutien financier sur trois ans pour lancer les initiatives, mais pas pour les poursuivre sur le temps long.

Intervieweur : C’est l’instant carte blanche. Avez-vous quelque chose à ajouter sur la vieillesse ?

Isabelle Senecal : J’aimerais revenir sur l’importance de la sensibilisation aux conditions de vie des personnes âgées, notamment en matière d’isolement et de précarité. Il est crucial que cette sensibilisation puisse se faire aussi par la culture. 

Dans le cadre du Festival International du court-métrage, le fait que ce sujet soit abordé permet de le diffuser à un public plus large. 
Aujourd’hui, on peut voir également des longs métrages, des expositions photos, des mangas ou des podcasts parler du sujet de la vieillesse, de la solitude et de l’isolement et que les moyens de sensibilisation sont multiples.

Pour conclure, pour celles et ceux qui souhaitent se renseigner sur l’association ou s’engager dans la solidarité de voisinage, nous avons un kit “chasseur de solitude », disponible sur notre site. Vous pouvez également retrouver des offres de bénévolat et de nombreuses informations sur qui nous sommes et ce que nous faisons. 

Recommandations pour aborder le sujet de l’isolement des personnes âgées et le changement de regard sur la vieillesse

un livre  (manga) ; Souvenirs en Bataille de Shikabane Sensei aux éditions AKata
un film : Plan 75 de Chie Hayakawa
Un podcast : Même pas mort, podcast des Petits Frères des Pauvres saison 1 Brisons les clichés sur la la vie affective et sexuelle des personnes âgées Saison 2 sur l’âgisme https://www.petitsfreresdespauvres.fr/informer/podcast
une photographe : Arianne Clément, qui se définit comme photographe d’aînés https://www.arianneclement.com/

La playlist : La vieillesse

Festival 2024

The wheat will not be golden de Guoxin Wang / Fiction / 2023 / Chine / 11’ : Un vieux fermier a été abandonné par la société dans un « coin ». Ce seul coin qui donne un sens à sa vie est menacé d’être pris. Têtu et insignifiant qu’il est, il ne se rendra pas et lèvera son arme pour lutter contre le torrent des temps. Voir :https://www.youtube.com/watch?v=hnfco8xzmvy

Nothing Special (Rien De Spécial)  d’ Efrat Berger / Fiction / 2023 / France / 15’ : Entre quatre murs, deux femmes attendent. l’une, que la mort vienne la chercher. l’autre, que sa vie commence enfin. Basé sur une conversation enregistrée, le film simule leur tentative d’échapper à ce qu’elles ne peuvent s’empêcher de vivre, alors qu’elles réalisent qu’un rien peut être parfois spécial.

Toute Sortie Est Définitive de Frédéric Bélier-Garcia / Fiction / 2024 / France : Alain est aux abords de la retraite, aux confins d’une vie abîmée par le travail, les compromis, les abandons. Il n’est plus qu’une charge pour sa fille, pour sa vieille amante, et sans doute aussi pour lui-même. Ce jour-là, pour « joindre les deux bouts » ou simplement pour faire quelque chose, il se présente à une audition comme figurant à l’opéra de marseille, pour incarner le roi duncan dans le macbeth de verdi.

Festival 2023

Serpêhatiyên Neqewimî (Une Histoire Non Vécue de Ramazan Kilic / Fiction / Turquie / 2022 / 16’ : Sevin, une petite fille de 10 ans, imagine une télévision en langue kurde pour sa grand-mère malade et muette.

The House Of Loss (Maison De Retraite) de Jeon Jinkyu  / Animation / Corée Du Sud / 2022 / 9’ : Dans une maison de retraite, les personnes âgées se voient raser la tête. Le protagoniste, qui y travaille, les observe sans pouvoir lire leurs expressions. Cependant, à un moment donné, il se surprend à regarder attentivement leurs visages. https://www.youtube.com/watch?v=9oaanazhwh8

La Entrega (Délivrance) Pedro Díaz / Fiction / 2022 / Espagne / 24’ : Armando a quatre-vingts ans. A cause d’un traumatisme, il n’arrive plus à sortir de chez lui depuis dix ans. Son seul contact avec le monde extérieur est le livreur qui lui apporte ce que son fils a commandé pour lui. Un jour, Armando reçoit un paquet qui va réveiller des souvenirs enfouis.

L’air De Rien de Gabriel Hénot Lefèvre / Animation / France / 2022 / 14’  : Dans un sanatorium en bord de mer, un vieil homme voit sa vie bousculée par l’arrivée d’une mouette qu’il va doucement apprivoiser. Le jour où celle-ci est blessée, l’homme va prendre soin d’elle et retrouver, pour un instant, son âme d’enfant. voir : https://www.youtube.com/watch?v=02ttcsqxfzo