Séverine Lucchesi est accompagnante au deuil, conférencière et sensibilisatrice. Pourquoi est-il crucial de parler de la mort ? Comment ce métier permet-il d’apporter de l’aide à celles et ceux qui en ressentent le besoin ? Séverine Lucchesi partage avec nous son expérience et ses connaissances pour mieux comprendre l’importance d’intégrer le sujet du deuil dans notre société.

Vous avez un métier particulier et encore trop méconnu. Parlez-nous de votre parcours et ce qui vous a amené à devenir accompagnante du deuil 

Au départ, j’ai fait des études de Biologie Cellulaire puis obtenu un DESS (Le master II de l’époque ! ) en Sécurité alimentaire, à Chambéry. J’ai travaillé quatre ans dans un cabinet conseil.  En parallèle, depuis mes 18 ans, l’été, je faisais des remplacements en maison de retraite. C’est là que j’ai commencé à approcher le sujet de la fin de vie et de la mort avec beaucoup d’intérêt et de questionnement  

À quel moment décidez-vous de changer de voie ?

En 2010, je travaille alors comme animatrice au sein d’un EHPAD vers Grenoble. Je subis la perte tragique de mes enfants et de mon mari. C’est un grand drame de la vie. Mes enfants avaient 5 et 7 ans, et moi, j’en avais 35. C’est le gouffre, l’impensable… Un accident de vie qui vient bouleverser toute mon existence, et c’est donc tout un chemin de vie à reconstruire, la douleur du manque à affronter chaque seconde. 

Pour surmonter cela, j’ai la chance d’avoir un entourage familial et amical très soutenant. Mes principaux refuges ont été le sport, l’écriture, la guitare et la méditation. L’association de parents endeuillés JPV (Jonathan Pierres Vivantes) est également une véritable bouée de secours. 

Je déménage en Auvergne en 2012 et je retrouve un nouveau poste en maison de retraite. En effet, je suis très touchée par le public de personnes âgées, comme des sages, des livres ouverts d’expérience de vie.

Je choisis alors de ne pas aborder le sujet de la perte de ma famille dans ce nouvel emploi. Ce nouvel environnement professionnel est un lieu où je me sens sereine, active, engagée, loin de la douleur d’être une maman endeuillée.

Pourtant vous n’en faites pas tout de suite votre activité?

Au départ,  je m’investis bénévolement dans l’association JPV :  j’en deviens présidente en 2016. Dans le Puy de Dôme, l’Allier et la Creuse, nous aidons 40 familles adhérentes. Cette association m’avait tellement portée que j’ai souhaité à mon tour accueillir, écouter et soutenir des parents en deuil. 

Puis, un changement de direction au sein de l’EHPAD dans lequel je travaille vient heurter de plein fouet mes valeurs profondes. 

C’est là que je sens qu’il est temps pour moi de changer de métier. L’accompagnement au deuil m’attire mais je ne me sens pas encore prête à franchir le pas.  Finalement en 2017, je m’engage dans une formation pour devenir Praticienne en Massage bien-être.. une autre façon de prendre soin finalement ! 

Vous décidez de vous former à l’accompagnement au deuil ?

En 2019, je suis décidée. Mon propre deuil n’est désormais plus un obstacle à cet accompagnement professionnel ; au contraire, il va être mon espace intérieur où je vais puiser ma force, ma compréhension, mon empathie. Mais une expérience de vie ne fait pas de vous un professionnel !  Je m’engage donc dans des formations à l’accompagnement au deuil. D’abord, un DU « Deuil et Endeuillés » à Amiens, proposé par l’espace éthique des Hauts de France. Une formation très enrichissante, avec une forte dimension sociologique. Afin d’acquérir des outils pratiques, je suis la formation de l’association « Chemins de Deuil » à Paris, axée sur l’accompagnement psycho-corporel. Enfin, j’intègre un réseau professionnel “Couleur Plume ». C’est une véritable révélation pour moi.  Cette association propose une formation de neuf mois sur l’accompagnement en fin de vie et le deuil. La formation inclut également du coaching personnel.

Nous sommes en août 2022. Je démissionne de l’EHPAD et en septembre. Puis, je commence à travailler sur mon site internet « Résonne 63 » pour éclore au monde ! 

Comment se déroule un accompagnement au deuil ?

L’accompagnement au deuil se décline de plusieurs manières. Il peut s’agir d’un accompagnement individuel, de l’animation de groupes et d’ateliers, de conférences que je donne, ainsi que de formations. Dans le cadre de l’accompagnement individuel, l’objectif est d’offrir un espace où la personne peut tout exprimer, tout déverser. Je l’invite à raconter de manière détaillée et intense ce qu’elle a vécu. Nous explorons ce qui n’a pas pu être dit à l’extérieur mais qui nécessite d’être exprimé. Il y a une grande part d’écoute active et de mise en lumière de ce récit. 

Le vécu d’un deuil est essentiellement dépendant de la force du lien qui existait entre celui.celle qui est décédé et celui.celle qui “reste”. En général, les personnes endeuillées viennent me voir après une période allant de six mois à cinq ans après le décès. Elles pensent souvent être bloquées dans leur deuil, mais en réalité, leur processus de deuil se déroule normalement.

Je propose également des ateliers de “Carnet de Deuil” selon la technique enseignée par Nathalie Hanot, psychologue. Durant deux journées consécutives, en petits groupes, les endeuillés viennent explorer leurs émotions et leurs pensées profondes. On utilise des techniques basées sur le symbolisme et l’écriture et faire émerger leurs forces intérieures. 

Quel regard portez-vous sur la gestion de la mort et du deuil en France ?  

La mort est une réalité que nous connaissons tous, mais nous préférons la tenir à distance. 

Pourtant, chaque fois que j’aborde le sujet de la mort dans un cadre professionnel ou personnel, je remarque une étincelle dans les yeux des gens. Il y a  un besoin profond de se reconnecter à cette réalité intime. Lorsque nous parlons d’accompagnement au deuil, nous touchons à l’essence même de l’existence, à ce qu’il y a de plus fondamental en nous. Parler de la mort, c’est aussi parler de notre vie. 

Nous abordons les sujets les plus cruciaux, même dans la douleur. Je rappelle souvent aux personnes endeuillées que, depuis la nuit des temps, les êtres humains ont perdu des êtres chers : parents, conjoints, enfants… et que non seulement nous y survivons mais notre “psychée sait comment faire”. Souvent, c’est notre mental qui tente de contrôler les élans naturels qui émergent, il est influencé par nos rôles sociaux, notre éducation…. Ma place est là aussi : donner des “autorisations” à vivre ce qui fait du bien, donner des balises, des repères lorsque la personne a l’impression d’être perdue à elle-même. Et repérer les besoins profonds de la personne endeuillée, l’aider à trouver ses stratégies propres pour avancer. 

Pourtant parfois la douleur paraît insurmontable …

Lorsque je suis face à une personne en deuil, je sais ce que c’est que de vivre cette douleur. Je suis également dans la confiance que cette personne possède en elle toutes les capacités nécessaires pour surmonter ce drame. Nous sommes biologiquement et émotionnellement équipés pour faire face à ces pertes. Les deuils dits compliqués ou pathologiques ne représentent qu’un très faible pourcentage. 

Cependant, nous avons désappris certaines compétences essentielles pour traverser le deuil. La souffrance fait peur, et nous vivons dans une société qui cherche constamment à éliminer toute forme de douleur, ce qui renforce cette peur de la souffrance.

Est-ce que vous observez des changements dans la manière dont ce sujet est abordé dans notre société ? 

Aujourd’hui, peu à peu, le deuil et la mort reviennent dans l’espace public par différents prismes : demande de rituels laïques qui ont du sens, réflexion sur l’offre funéraire, numérisation de la mort, désir de re-socialisation, écologie…. On assiste aussi à une augmentation des événements tels que les festivals, rencontres, et colloques centrés sur la mort et le deuil. Des associations et des groupes de parole se multiplient ; le métier d’accompagnante au deuil (et thanadoulas) émerge. 

Des initiatives comme les « apéros de la mort » ou « cafés mortels » créent des espaces ouverts où les gens peuvent discuter librement de la mort. Ces rencontres permettent d’aborder le sujet sous forme d’éducation populaire. On note également le développement de coopératives funéraires (Nancy, Bordeaux…), qui offrent alternatives funéraires et lieux-ressources pour les proches. 

Par quoi peut-on commencer si on est touché par le deuil ou si l’on veut apprendre à mieux le comprendre ?

Pour ceux qui cherchent à comprendre  ou se rassurer, une première étape serait de rechercher des ressources en ligne, comme Happy End ou Mieux Traverser le Deuil, ou dans des livres.   

Pour ceux qui souhaitent rencontrer d’autres personnes ayant vécu des expériences similaires, on peut rechercher des associations ou des groupes de soutien. De plus, il ne faut pas hésiter à consulter sa mutuelle ou sa prévoyance : certaines offrent du soutien psychologique ou financier. 

En réalité, vivre un deuil majeur demande à trouver des appuis multiples, en fonction de ses besoins. Un seul professionnel  n’apportera pas toutes les réponses. L’environnement social, amical, familial… participe grandement à ce chemin qui se fait aussi, en partie, en solitude. 

C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter ?

Je tiens à souligner l’importance de la Nature, de la Beauté et de la Créativité dans le processus de deuil. 

Ce sont des ressources précieuses et agissantes. Personnellement, lorsque je suis confrontée à des défis ou à des moments difficiles dans ma vie, je me tourne vers la nature. Par exemple, je monte souvent au sommet du Puy de Dôme pour trouver du réconfort. Ou je jardine. La nature est un lieu où l’esprit et le corps peuvent se retrouver . La beauté se trouve en toute chose, même dans le plus modeste (un rayon de soleil, une fleur, un chant d’oiseau, l’appel d’un ami, un regard…)  Dans les premiers temps du deuil, au cœur de la souffrance, on ne peut parfois guère plus que de toutes petites actions. La créativité est au cœur de la Vie : la vie cherche toujours les chemins pour retrouver son équilibre et pour cela, elle crée de nouveaux possibles. C’est aussi cela que l’on cherche pour avancer : déclencher, en soi, des “ possibles créateurs” que l’on n’aurait jamais imaginé. Finalement, le deuil est aussi une opportunité de croissance.  

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  • Mes prochains ateliers Carnet de Deuil se déroulent à Blanzat, 63112 : ils s’adressent à toutes les personnes qui vivent le deuil d’un être cher. 28 et 29 octobre ; 1er er 2 novembre ; 17 et 18 novembre ; 16 et 17 décembre 2023
  • Mes prochaines conférences : 4 novembre 2023 – Grenoble  : “Perdre un enfant : pouvoir en parler” ;  25 novembre 2023 – Paris 6ème : “Après le décès de mon enfant, me reconstruire”
  • Renseignements : www.resonne63.com/agenda