Le Damier organisait “LUX » à Clermont-Ferrand il y a quelques jours. L’un des objectifs de ce salon était de prendre le temps de questionner ce qui agite le secteur des industries culturelles et créatives. Et de se projeter sur les grands enjeux de transformation de la filière, de ses activités, de ses façons de les mener, de ses métiers… notamment au travers de cette conférence dédiée à Transitions 2050  (lire l‘entretien de Nathalie Miel à ce sujet)

La matinée du deuxième jour était consacrée à la prospective. Sur les métiers et compétences, avec l’atelier de design fiction animé par Raphaël Poughon. Et sur les enjeux environnementaux et les chemins à prendre, avec trois intervenants passionnants autour de Transitions 2050, quels futurs souhaitables ?. Emmanuel Goy, directeur adjoint de la direction régionale Auvergne Rhône Alpes de l’ADEME, Valérie Martin cheffe du service “mobilisation citoyenne et média” à l’ADEME et Côme Girshig, conférencier engagé et fondateur du mouvement des jeunes pour le climat. Retour sur les enseignements de cette matinée.

Choisir un chemin…

Quand on parle transition et culture, il y a toujours deux grilles de lecture: celle qui considère l’acteur économique culturel, qui consomme de l’énergie, génère des déchets, des déplacements, occupe des espaces, … comme tout acteur économique. Et celle qui appréhende sa responsabilité et sa capacité d’action sur nos imaginaires, nos systèmes de valeur, de référence.  Lier les deux c’est ce qu’a cherché à produire l’ADEME avec “Transitions 2050, choisir maintenant agir pour le climat”. 

Puisque l’enjeu est d’être aligné avec les engagements pris lors de l’accord de Paris en 2015, notamment l’objectif collectif de stabiliser le climat sous le seuil des + 2°C, il faut envisager des trajectoires.

La trajectoire de réduction des émissions et des absorptions des GES doit permettre d’atteindre un objectif de « neutralité carbone » d’ici 2050, soit un équilibre entre les flux annuels d’émissions et les flux d’absorption.”

L’ADEME propose un travail de prospective en profondeur, qui mouline ensemble une énorme quantité de rapports et de données, techniques, économiques et sociales, pour exprimer 4 scénarios envisageables pour atteindre la neutralité carbone. 

… parmi 4 propositions

Dans un moment où il faut accélérer les transformations, prendre des décisions, choisir des voies, le but est de fournir un socle pour nourrir les débats, alimenter les réflexions et mesurer les impacts de chaque scénario. Chacun de ces scenarios s’accompagne d’un récit. Il porte en lui une vision différente du monde, nourrie par différentes idéologies, idées, représentations, … 

Les décisions collectives doivent […] porter autant sur la société durable que nous souhaitons construire ensemble que sur les modalités de réalisation des transformations profondes et systémiques qui la rendront possible.”  

  • Scénario 1 Génération frugale
  • Scénario 2 Coopérations territoriales
  • Scénario 3 Technologies vertes
  • Scénario 4 Pari réparateur

4.Pari réparateur

Quand Emmanuel Goy présente les scénarios, il commence toujours par le 4ème, sans doute parce que c’est le plus proche de notre réalité actuelle. Dans ce scénario, “la société place sa confiance dans la capacité à gérer, voire réparer, les systèmes sociaux et écologiques avec plus de ressources matérielles et financières pour conserver un monde vivable.”

Ce qui permet de ne pas vraiment changer de modes de vie, si ce n’est que tout est plus ou moins connecté et monitoré. On recherche l’efficacité. Évidemment, tous ces appareils et applis consomment beaucoup d’énergie et de matières premières. On mise sur le développement technologique pour réparer, compenser …  D’où le choix du terme “pari” pour nommer ce scenario : les technologies sont espérées, pas encore avérées ou matures.  

3. Solutions vertes

On remonte tranquillement une marche de plus. Ce scénario mise aussi sur le développement technologique pour répondre aux défis environnementaux. Plus que sur les changements de comportement. Néanmoins, quelques inflexions par rapport à nos habitudes actuelles : moins de viande dans notre alimentation, une mobilité toujours individuelle mais électrifiée, une production industrielle décarbonée… Cependant, le scénario entérine la rupture sociale, entre ceux -solvables- qui ont accès au mieux et les autres. La consommation n’étant pas ralentie, le risque est de ne pas suffisamment maîtriser les consommations d’énergie et de matières et générer des effets de rebonds significatifs s’il n’y a pas de réglementation et de cadre politique. Dans ce scénario, on ne mise pas sur la réduction des GES mais sur la capacité à optimiser les capacités d’absorption. 

2. Coopérations territoriales

Comme son nom l’indique, celui-ci nous projette dans une société de la coopération des acteurs publics et privés, ancrée sur un territoire qui veille à garantir une cohésion sociale. L’enjeu partagé est celui d’une évolution des modèles vers plus de sobriété et plus d’efficacité: moins de consommation, moins d’échanges internationaux, plus de réemplois, plus de partage. La notion centrale est celle de gouvernance partagée, de la co décision et donc de la recherche du consensus de tous les acteurs.  Difficile d’aller vite !

1. Génération frugale

C’est le scénario le plus radical. Celui impliquant les transformations les plus importantes de nos styles de vie. Ici, la transition est conduite principalement grâce à la frugalité par la contrainte (obligations, interdictions, quotas…) et par la sobriété (réduction “volontaire” de la demande). On est donc plutôt dans une transformation à marche forcée, comportant un risque important de clivages sociaux forts. “Les normes et valeurs évoluent vers une économie du lien plus que du bien, très ancrée sur les territoires et leurs ressources”.

Pour aller plus loin dans la compréhension vous avez plusieurs options, de la synthèse en infographie au rapport complet.

Ce qu’il faut avoir à l’esprit c’est qu’ils sont chacun décrits par le mode de vie correspondant, puis explicités par leurs incidences sur les quatre grands systèmes qui structurent les modes de production et de consommation: la bioéconomie(alimentation, agriculture, forêt & sols) ; l’aménagement du territoire (bâtiments &mobilité); l’industrie (matériaux & économie circulaire) et les systèmes énergétiques décarbonés. Quatre scénarios supposés parvenir au même résultat, la neutralité carbone. Chacun est systémique et cohérent. Chacun comporte aussi une part de risque. 

Mobiliser pour transformer

L’ADEME n’indique pas de préférence entre ces 4 scénarios. Ceci étant, tout le travail engagé autour des imaginaires est plutôt conçu autour d’enjeux de sobriété que de techno solutionnisme. Mais l’ADEME accompagne aussi l’évolution des particuliers et des professionnels, dans une optique type scénarios 3 et 4, avec des aides à l’investissement, de la formation, …

Et individuellement, où se situe-t-on ?

Lors de cette table ronde, nous avons interrogé le public. Par trois fois. On notera la variabilité des réponses selon que l’on pense à soi et ses proches, ou à son entreprise. Et aussi la perception du réalisme.

On peut comparer ces réponses à celles du baromètre des représentations sociales du changement climatiques que réalise l’ADEME depuis 2000. 23 ans de mesure de l’évolution des perceptions, c’est significatif.  En 2022, concernant les leviers pour limiter le changement climatique, le choix d’une responsabilité citoyenne  “Il faudra modifier de façon importante nos modes de vie  est largement dominant : 56 % en moyenne sur la période 2006-2022, 62 % dans cette enquête. Tandis que l’hypothèse d’une solution technique “Le progrès technique permettra de trouver des solutions  recueille un peu plus de 10 % des choix (11 % dans cette enquête). S’en remettre à l’action des Etats (C’est aux Etats de rechercher un accord au niveau mondial pour limiter le changement climatique ) convainc autour de 20 % du public (16 % dans cette enquête). Finalement, 10% des répondants se résignent à l’inaction, en raison de l’inévitabilité du changement climatique.

Je dois confesser que je suis surprise, voire dubitative, à propos de ces résultats. Je me demande s’il n’y aurait pas un biais de conformité, c’est-à-dire une tendance à exprimer ce que l’on pense être l’avis du plus grand nombre ou celui qui serait attendu.

Réduire la dissonance

Nous constatons une forte dissonance entre intention et action. Les principaux récits aujourd’hui sont ceux du consumérisme et du productivisme, selon lesquels pour être heureux, il faut consommer, toujours plus et tout de suite. Or, cet imaginaire dominant est plus que jamais insoutenable et met en péril l’habitabilité de notre planète. ” (dans Jules Colé, 2022, Comment faire évoluer nos imaginaires pour changer nos relations au monde vivant et aller vers un monde soutenable et harmonieux ?)

Alors comment faire pour qu’il transforme réellement notre rapport au monde, nos modes de pensée, nos quotidiens ? C’est le rôle du service que dirige Valérie Martin “mobilisation citoyenne et média” au sein de l’ADEME.

Dans un article publié sur son site elle explique : “ Alors que nous vivons et consommons au-dessus des ressources de la planète, que la publicité, la mode, les évolutions technologiques permanentes… nous poussent à accumuler et à renouveler rapidement nos biens, il est temps de proposer une autre vision du monde, loin de celle nous faisant percevoir la croissance de la consommation comme la seule mesure de notre bonheur. Nous sommes dans une société où l’avoir prédomine, alors qu’il nous faut aller vers une société alignant l’être et le faire.” 

Activer la culture pop comme vecteur

Dans ses orientations pour accompagner la transition, l’ADEME soutient des projets de recherche et des études, comme des « Récits et des actes ». “La Culture infuse des Imaginaires, notamment véhiculés par des Récits, nous permettant de faire société. Films, séries, romans, dessins animés, théâtre, musique, jeux vidéos, mèmes… : la culture nourrit nos imaginaires au quotidien. Or les imaginaires, au départ purement fictifs, contribuent à façonner nos modes de pensée, nos croyances, nos systèmes de  valeurs…

L’enjeu est d’impulser de “nouveaux récits inclusifs qui puissent faire évoluer nos représentations mentales et ainsi réenchanter notre imaginaire, loin des dissonances cognitives qui minent la volonté à s’engager. Un récit qui crée un nouvel élan et impulse de nouvelles tendances plus vertueuses comme l’entraide, le partage, le don, le réemploi ou la réparation mais, surtout, le faire-ensemble…” 

Elle y parle communication mais le propos demeure valable pour l’univers culturel. Et plus loin, elle dit encore, il ne s’agit pas […] d’occulter les doutes, les menaces et les difficultés, mais […d’être]  moins incantatoire, plus juste et transparent, [… de savoir] en même temps redonner espoir. […apporter] l’information indispensable pour comprendre les enjeux mais dans le même temps [être] plus sensible [pour] faire le lien avec nos vies quotidiennes.

Le « dévendeur », un vrai symbole

L’ADEME teste donc différents outils en ce sens: des guides, des études,  des feuilletons , L’Assemblée Citoyenne des Imaginaires,…

Et elle s’est illustrée tout récemment avec la fameuse campagne du Dévendeur qui a fait hurler les associations de commerçants. Le clivage des réactions, épidermiques de mon point de vue, entre le Ministère de l’Economie d’un côté et le Ministère de l’Ecologie de l’autre, comme dans l’ancien monde, montre bien le chemin qui reste à parcourir.

L’utopie a changé de camp : est aujourd’hui utopiste celui qui croit que tout peut continuer comme avant.”  

Pablo Servigné
 

Crédit photo : @hmwk