Camille Riviere est responsable du CESPAU, le Centre d’Excellence des Sciences Partagées en Auvergne. Il met la médiation scientifique au coeur de la stratégie de l’Université Clermont-Auvergne. Comment repenser la formation du monde scientifique pour mieux diffuser les savoirs ? Comment développer la culture scientifique de Français pour en faire des citoyens éclairés ? Quelle place pour la science face aux enjeux sociétaux et environnementaux à venir.

Nous allons parler de culture scientifique, un sujet que vous connaissez bien. Expliquez-nous votre parcours.

Camille Rivière : Je suis clermontoise d’origine. J’ai grandi à Clermont. Après un bac L, je suis partie à Lyon et j’ai intégré Sciences Po. J’avais une appétence pour les métiers de la communication, je rêvais d’être journaliste, chargée de communication ou professeur.

Finalement, j’ai terminé Sciences Po avec un Bac + 4 en communication publique. Ensuite, j’ai poursuivi à l’IUP de communication à Lyon 3.

J’ai décidé de revenir à Clermont-Ferrand après mes études et j’ai commencé mon parcours professionnel au sein du service communication institutionnelle à la Caisse d’Epargne. Au bout de deux ans, en 2008, j’ai vu passer une offre de chargée de communication à l’Université Blaise Pascal. C’était vraiment la combinaison parfaite entre communication et une institution souhaitant valoriser la recherche et la science.

Vous avez eu plusieurs fonctions au sein de l’Université avant la fusion de 2017…

Camille Rivière : Oui, j’ai travaillé au service communication de la présidence, également à l’UFR LACC, où je donnais aussi quelques cours. À partir de 2014, mes missions se sont portées plus spécifiquement vers le volet scientifique et recherche et j’ai appris à mieux connaître les laboratoires de recherche.

Avec la fusion et la création de l’Université Clermont Auvergne, on m’a proposé de créer un service dédié à la médiation scientifique. Je m’occupais déjà de la Fête de la science et de l’université ouverte. Nous avons débuté à deux dans le service en 2017, et désormais au sein du CESPAU, nous sommes sept.

Aujourd’hui, vous êtes cheffe de pôle à la Direction de la Recherche et des Etudes Doctorales de l’UCA. Vous êtes également responsable du CESPAU. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce nouveau Centre d’Excellence de Science Partagée en Auvergne ?

Tout d’abord, il faut savoir que lors de la restructuration en 2017, il y a eu une volonté de mettre la médiation scientifique au cœur de la stratégie de l’UCA. C’est pour cette raison que nous avons saisi l’opportunité de l’appel à projets “Science avec et pour la Société” du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche en 2021. Nous avons été dans les huit premières universités nationales à bénéficier d’une enveloppe financière sur trois ans pour développer la culture scientifique et professionnaliser la médiation scientifique.

Entrons dans le vif du sujet. Culture, vulgarisation, médiation scientifique, de quoi parle-t-on ?

Camille Rivière : Pour l’UCA, la médiation scientifique, c’est avant tout rendre accessible un savoir complexe à différents types de publics, lutter contre les fausses informations. C’est également participer au rayonnement de la recherche auvergnate, à la transmission des savoirs, et c’est l’éveil aux sciences des plus jeunes pour les orienter vers les carrières scientifiques. Autre point important, nous souhaitons valoriser les sciences dans toutes leurs diversités. On parle autant de physique et de biologie, que de droit ou de sociologie.

Il est important d’expliquer la recherche publique et ses applications afin que les citoyens comprennent pourquoi ils la financent indirectement par leurs impôts.

Nous avons également un engagement fort, et très important pour moi, sur la place des femmes dans la science. Il y a aujourd’hui encore un fort déséquilibre entre filles et garçons inscrits dans les filières STIM (sciences, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques) en défaveur des filles. 

Quelles sont les actions de médiation au sein de l’UCA ?

Camille Rivière : Notre projet phare est le développement et la mise en service du portail numérique grand public “Puy de Sciences” pour fin septembre 2023. Il permettra de donner plus de visibilité aux actions et événements de culture scientifique de l’UCA et de ses membres associés tels que l’INRAE, le CNRS, Vet’AgroSup, l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture etc…

Par ailleurs, l’Université Clermont Auvergne coordonne pour l’Auvergne un événement national emblématique : La fête de la science qui a soufflé ses 30 bougies en 2021. Pendant dix jours au mois d’octobre, tous les acteurs locaux de la culture scientifique peuvent proposer des événements et des animations.

Nous sommes également chargés de la programmation du cycle de conférences Université Ouverte Clermont Auvergne (UOCA). Elle permet aux adhérents d’accéder à des conférences grand public en lien avec l’actualité scientifique et proposées par des enseignants-chercheurs de l’UCA.

Parmi les autres événements de médiation scientifique, nous portons pour le site clermontois l’organisation de la finale régionale du concours ‘Ma thèse en 180 secondes ». Un exercice qui demande aux doctorants de synthétiser de manière accessible leur sujet de thèse en 3 minutes.

Pour les jeunes publics, nous organisons également les rencontres « doctorants-lycéens » ainsi que la journée internationale des filles et des femmes de science (date UNESCO :11 février) .

Enfin, le CESPAU a développé un format de conférence “2 heures pour comprendre” en partenariat avec les collectivités locales. Ce sont des tables rondes pour aborder des sujets qui touchent les habitants de ces territoires. Les îlots de fraîcheur à Vichy, les réseaux de chaleur à Issoire etc etc …

Existe-t-il des directives nationales pour développer la culture scientifique des français ?

En avril 2021, le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a présenté sa feuille de route “Science avec et pour la Société” issue de la loi de programmation de la recherche. Elle met en avant l’importance de renforcer les relations entre science et société, de renouer le pacte entre les chercheurs et les citoyens en insufflant dans les relations plus de familiarité, de confiance et réciprocité. L’idée objectif principal est que les scientifiques puissent renouer le dialogue avec les citoyens, irriguer les territoires de culture scientifique, s’adresser à tous les publics, même ceux les plus éloignés de la science.

On demande aujourd’hui aux scientifiques et aux chercheurs de remplir de nouvelles missions de médiation. Cela ne s’improvise pas, comment sont-ils accompagnés ? 

Camille Rivière : D’une part, nous avons au sein de l’UCA de nombreux chercheurs qui ont toujours eu une appétence pour les pratiques de médiation. D’autre part, désormais, lorsque l’on postule à un appel à projet de l’Agence Nationale de la Recherche, par exemple, il faut nécessairement intégrer une dimension de médiation scientifique. Le monde de la recherche se doit de faire comprendre et de transmettre les nouveaux savoirs et connaissances. Nous proposons aux chercheurs des formations notamment de media training.

Concernant les doctorants, et donc les jeunes chercheurs, le collège des écoles doctorales a mis en place cinq modules autour de la médiation scientifique, dont un sur la prise de parole en public. D’ailleurs, un concours d’éloquence est organisé suite à ce module.

Je conclurais en rappelant qu’il y a encore quelques années de cela, les chercheurs qui faisaient l’effort d’aller vers le grand public, de vulgariser leurs travaux recherche n’étaient pas valorisés dans la communauté scientifique. On ne reconnaissait pas cela comme une compétence clé. La loi de programmation de la recherche dite LPR réaffirme la mission de diffusion de la Culture Scientifique comme étant est une des quatre missions fondamentales du travail de chercheur du travail de chercheur. 

En quoi la médiation scientifique est-elle un enjeu majeur pour l’avenir ? 

Camille Rivière : La science fait partie des biens communs. C’est une part essentielle de notre société. Il nous faut comprendre, en tant que citoyen, les grands enjeux actuels, pour prendre part aux débats démocratiques. Que ce soit sur le changement climatique ou la fin de vie, les citoyens doivent s’approprier les questions scientifiques. Il est essentiel que les nouvelles générations développent une base robuste de culture scientifique pour faire face aux enjeux à venir.

Nous devons remettre les scientifiques au cœur du débat public, comme élément clé, grâce à leur expertise. 

Avec la crise du Covid, les médias ont demandé aux scientifiques de se positionner et à émettre des avis sans avoir le recul scientifique nécessaire. Le temps de la science est un temps long, ce qui rend très difficile de réagir à chaud. 

Dans ce cas, comment mieux faire collaborer les chercheurs et les médias ?

Je trouve l’approche du média The Conversation particulièrement intéressante. J’ai la chance d’être entrée dans leur Conseil d’Administration l’année dernière. C’est une écriture à quatre mains d’articles scientifiques à destination du grand public. Soit nous faisons remonter à la rédaction nationale des sujets qui nous semblent intéressants, soit les journalistes nous sollicitent lorsqu’ils veulent traiter un sujet particulier. 

Quant au processus d’écriture, le chercheur rédige un premier jet, le journaliste angle et remet en forme, et c’est bien le chercheur qui valide la diffusion. Il est essentiel que la simplification des travaux de recherche ne déforme pas la vérité scientifique.

C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter ?

Camille Rivière : Le lancement à la rentrée du portail Puy de Sciences est pour moi l’aboutissement de tout le travail de médiation scientifique que nous avons initié depuis de nombreuses années. J’espère sincèrement que cet outil contribuera à renouer le dialogue entre scientifique et société, qu’il pourra répondre aux questions scientifiques des différents publics et mieux faire connaître les actions de médiation scientifique en Auvergne.