Entretien avec Françoise Caira, Vice-Présidente Transformation pédagogique, Pédagogie numérique et Politique Documentaire – Directrice du pôle IPPA 

Au coeur de l’Université Clermont Auvergne, comme dans toutes les universités de France, se trouve le service IPPA  (Ingénierie Pédagogique & de Production Audiovisuelle). Si ce type de services existe partout, celui de l’Université Clermont Auvergne avait pris un peu d’avance.  

Son rôle ? Accompagner la transformation pédagogique

La mission de Françoise CAIRA en tant que vice-présidente est de coordonner la politique d’établissement sur les aspects pédagogiques innovants. Cette politique s’articule autour de deux objectifs principaux. La création d’une dynamique d’innovation pédagogique au sein de la communauté universitaire et l’évolution de l’architecture même des formations.

Nouvelle génération d’étudiants : une forte attente d’interaction  

Dans l’enseignement supérieur, le recrutement se fait plutôt sur le profil de chercheur que sur le profil d’enseignant. La formation à la pédagogie n’est rendue obligatoire que pour les nouveaux maîtres de conférence … C’est une bizarrerie par rapport à la formation des enseignants du secondaire.

Le constat de départ  est celui de la diversification des publics étudiants. Avec 80% d’une génération qui accède au bac,  les enseignants sont parfois démunis face à des étudiants qui n’ont pas forcément le socle nécessaire pour absorber des enseignements tels qu’on les concevait avant.

La question est encore plus prégnante avec les élèves en décrochage. La reproduction de méthodes descendantes s’avère inadaptée.  Leur attente est forte d’un mode d’enseignement incluant plus de participation et d’interaction.  

Un enjeu pédagogique: éviter les décrochages.

La structuration de ce service est assez récente. Avant la fusion des universités, il y avait déjà un service mais avec peu de ressources humaines spécialisées en ingénierie pédagogique.  

L’UCA a créé cette vice-présidence dédiée à l’innovation et à la transformation pédagogique. L’enjeu est de faire évoluer les outils utilisés par les enseignants pour accompagner la transformation.

L’innovation n’est pas une fin en soi.

En revanche, il faut accompagner les enseignants pour qu’ils soient en capacité d’amortir le choc de la première année à l’université. C’est important pour éviter le décrochage. 

Toute l’équipe IPPA

Transformation versus liberté pédagogique

Exception faite d’un dispositif de formation des nouveaux maîtres de conférence, démarré il y a 4 ans à l’UCA, avant que le Ministère ne le rende obligatoire, il n’y a en effet pas de leviers sur les plus anciens. Nous ne sommes jamais dans la posture d’obliger. La base, c’est le volontariat. En revanche, nous sommes présents pour répondre aux besoins et aider à régler les problèmes que rencontrent les enseignants. 

Pour les nouveaux maîtres de conf, l’UCA propose à la carte, en fonction des expériences antérieures, un large panel, au choix, avec un accompagnement  par un enseignant référent et un  référent  en ingénierie pédagogique tout au long de l’année. 

Tous ont à disposition un catalogue de formation à des outils numériques ou à des techniques innovantes comme par exemple  ‘motiver et intéresser des  étudiants en amphi”, “rendre ses étudiants actifs” … 

L’idée n’est pas d’imposer le numérique. Evidemment avec le contexte sanitaire, il a été plébiscité, mais le numérique n’est pas la seule voie d’innovation pédagogique, loin s’en faut. 

On peut transformer ses enseignements sans avoir à utiliser les outils numériques. Et bien sûr, l’enseignant a toute liberté de choisir ce qui lui paraît le plus efficace.

Transformation pédagogique: ressentir le besoin.

Au démarrage de la direction de l’Ingénierie Pédagogique, nous avons organisé pas mal d’événements de promotion de  nos activités, pour sensibiliser et susciter les sollicitations. Des interventions de chercheurs en science de l’éducation, des présentations d’outils comme la classe inversée ou les boîtiers de vote électronique pour favoriser l’interactivité … Des débats, des ateliers …

Mais il faut être honnête, avec ces formats, on touche ceux qui  déjà intéressés par le sujet … 

Les vrais déclencheurs, ce sont soit les situations de difficultés d’un enseignant face à sa classe soit la mise en place de l’obligation d’évaluation des enseignements (pas de enseignants !) par les étudiants.  La lecture des évaluations de leur cours par les enseignants, la comparaison entre eux, peut amener à se remettre en question. Les choses se font petit à petit. 

Avec le confinement, le besoin s’est fait sentir.

Ce virus a réussi en quelques semaines ce que nous essayons de faire depuis plusieurs années !

En Mars, nous avons arrêté toutes nos autres activités pour nous concentrer sur le soutien et le dépannage des enseignants pour la mise en place de leur cours en ligne, l’organisation de la formation à distance : comment faire travailler les étudiants, les motiver, comment séquencer un cours … Nous avions déjà toutes les ressources mais il a fallu, en accéléré, accompagner la prise en main et la sélection des outils les mieux adaptés à chacun. 

Certes, cela nous a beaucoup aidé à faire connaître nos activités !

Enseignement multimodal: qu’est-ce que ça change ?

Après le confinement, la rentrée se fait dans le respect des mesures de distanciation, les amphis ne peuvent donc pas être remplis. Les enseignants font parfois deux fois leur enseignement, pour une classe divisée en deux.  De fait, cela a accéléré la pratique de techniques d’enseignement hybride. 

Les cours peuvent être dispensés soit en présentiel soit en distanciel, en  synchrone ou asyncrhone … Tout est techniquement possible, il faut que les enseignants trouvent ce qui correspond le mieux à leurs pratiques et à leurs étudiants. Certains ont développé des capsules vidéo pour les enseignements et consacré les temps de présence aux  TD,  avec une autre approche, une autre posture de l’enseignement, plus ‘animateur’.

La montée en compétences a été  importante et rapide. Nous avons produit énormément de tutoriels pour accompagner cette transition. Ce qui est bénéfique pour les enseignants, c’est de constater qu’on peut enseigner autrement. Et que cela ne se traduisait pas forcément par une perte de qualité. Au contraire ! 

Dans votre intitulé il y a aussi “production audiovisuelle “ ?  

Il faut au bout de l’accompagnement vers la digitalisation. L’UCA propose donc plusieurs types de service pour les enseignants:

  • Un service de captation pros pour les gros projets qui demandent des compétences spécifiques et du matériel de pros. Ils ont été mobilisés par exemple pour un serious game développé dans le cadre du DUT de logistique de Montluçon. L’enseignement est mis en pratique sur un simulateur d’entrepôt en grandeur réelle. Même chose pour le projet de l’ISIMA, un autre serious game, autour de simulation de situations de cyber attaques.

Ces initiatives, très concrètes et ludiques plaisent beaucoup aux étudiants et sont efficaces sur le plan pédagogique. 

  • Un  système de production en autonomie est également proposé aux enseignants pour concevoir des caspules vidéo qui ne requièrent pas de scénario exceptionnel  ou de montage. Ils ont accès à une salle dédiée, un logiciel interne et du matériel sur lequel ils sont formés. Le tout est accessible en ligne, sur UCAMédia .
  • Enfin, de petits box d’enregistrement en autonomie équipés avec caméra, studio d’enregistrement, casque, micro, … sont accessibles sur le territoire (aux Cézeaux, à Chamalières, en centre ville, à Montluçon, à Aurillac, au Puy )…

Il y a aussi le programme Learn’In Auvergne ?

Ce programme transversal de CAP 20-25 combine les concepts pédagogiques innovants avec les nouvelles approches numériques (apprentissage en réseau, blended learning, lien avec le monde socio-économique, enseignement actif favorisant toutes les interactions)

C’est une formidable opportunité d’innovation. Depuis 2017, l’UCA est labellisée E-site (voir notre entretien avec Alain Eschalier “Faire de Clermont la capitale de la santé mobilité”). Learn’in Auvergne en est l’un des programmes, transversaux dont l’objectif est d’accompagner les enseignants dans ‘la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des innovations pédagogiques et numériques’. 

le site du projet CAP 20-25

Une opportunité pour développer des projets pédagogiques innovants

Ce programme permet de bénéficier de plus de moyens financiers pour lancer des appels à projets, soutenir et déployer des formations innovantes… 

De nombreux projets sont lancés dans ce cadre (voir la liste ici) sur différents axes (une bonne soixantaine) :

  • La pédagogie active
  • La personnalisation des parcours
  • Les compétences numériques (métiers et pédagogiques)
  • La recherche
  • L’aménagement des espaces

Un foisonnement de projets

Ce dispositif concerne toutes les disciplines. D’ailleurs, toutes ou presque ont déposé des projets !

Pour en citer quelques uns, je pourrai évoquer GeolVir3D, développé dans l’École de l’Observatoire de Physique du Globe. C’est un outil de réalité augmentée 3D qui permet aux géologues de simuler des déplacements sur le  terrain.  Ou encore, développé par l’ISIMA, le projet  ‘SecIoT – Internet des objets connectés : challenges de sécurité’. Un serious game autour de situations d’attaques informatiques.

En matière de pédagogie active, on peut noter le projet “ONINATA Outils Numeriques Interactifs pour une Nouvelle Approche methodologique des Travaux pratiques Appliqués” qui s’attaque aux grands oubliés du distanciel, les fameux TP.

En lien avec le monde professionnel

L’Université s’ouvre, là aussi progressivement, à son environnement économique et entrepreneurial. Déjà, pour la construction des programmes de formation, pour permettre aux étudiants de développer  les compétences recherchées par les employeurs. La nouvelle offre de formation 2021 de l’UCA traduit un changement de paradigme. On passe de l’acquisition de connaissances à la maîtrise de compétences, avec plus d’interdisciplinarité, de transversalités, de savoir-être …

Mais au delà, il y a aussi beaucoup de collaborations. Je pense au projet réunissant Kosmos à Nantes, la DOSI, IPPA et la Fabrique. Il s’agit de déployer un  explorateur de parcours pour mieux aborder les questions d’insertion professionnelle. Ludique, il permet à l’aspirant étudiant d’obtenir des recommandations de parcours d’étude en fonction de ses appétences, son bagage, ses aspirations… 

Au travers du projet Mon Pass Pro, l’UCA est  lauréate d’un appel à projet du PIA “Nouveaux parcours Universitaire”. Son objectif est de se concentrer sur les  étudiants de 1ere année. Ceux qui ressentent le besoin de se ré orienter, les décrocheurs, ceux qui ont été mal orientés… 

Pour conclure, pour vous, quelle sera la qualité première de l’enseignant de demain ?

Sans hésiter, l’adaptabilité !

Sans hésiter, l’adaptabilité ! Certes, la capacité d’adaptation n’est pas spécifique à ce métier. Mais ce n’est pas une qualité qui a été beaucoup encouragée, en particulier sur la dimension pédagogique. Sur une carrière de 40 ans, ça parait normal à tous les enseignants de faire évoluer leurs contenus. En revanche, la culture de l’innovation pédagogique n’existait pas dans notre métier. Ca change.