Le monde des médias est en pleine mue : certains médias spécialistes ont affiché des positions fortes l’été dernier en adoptant par exemple une charte pour un journalisme à la hauteur des enjeux écologiques. Pour les médias plus généralistes – de plus gros machines- la transformation se fait plus lentement tellement les impacts à appréhender sont nombreux et complexes. D’ailleurs, les échanges informels entre responsables RSE de la PQR (Presse Quotidienne Régionale) sont nourris. Chacun ayant pris le sujet par un bout potentiellement différent, tous ne sont pas au même niveau de maturité sur les mêmes sujets. Ouest France semble assez en pointe  et c’est un partenaire d’échanges sur les sujets de transition pour le Groupe Centre France La Montagne qui, lui construit actuellement patiemment son référentiel.

Aussi, quand on interroge Adeline Vitrolles- tout nouvellement promue Directrice RSE du groupe- sur les contours de la démarche, elle retourne immédiatement la question : en tant qu’entreprise ou en tant que média ? C’est en effet une particularité du secteur : il y a certes les ‘classiques’ paramètres de la politique d’entreprise mais il y a aussi ceux des contenus éditoriaux et de leur contribution à l’acculturation de leur audience au changement climatique notamment. Le Connecteur a choisi de ne pas choisir. 

Le Connecteur : Adeline, le groupe Centre France La Montagne est une grosse machine, comment émerge et se diffuse une démarche RSE dans un tel groupe ?

En 2019, c’est d’abord avec la Compagnie Rotative (Qualifiée d’agence d’innovation responsable du Groupe dans le DPEF), une structure légère, intégrée au groupe mais disposant d’une certaine latitude, que les choses s’engagent. La Compagnie, au sein de laquelle je travaillais à ce moment-là avec Raphaël Poughon, pratique beaucoup l’exploration, l’expérimentation, l’intelligence collective, la créativité …. Elle a joué un rôle de lobbying interne, pour acculturer sur les notions d’impact et de transition. C’est ce qui a aussi lancé la réflexion sur la raison d’être du groupe et les moyens de la déployer, sur la base de quelle feuille de route, …  Nous avons pas mal jardiné ce sujet-là.

Le Connecteur : La mission paraît immense : par quel bout l’attaquer ?

Nous avons mis en place un « Comité impact » pour challenger ces sujets. Transverse, il est composé de plusieurs métiers (la com, les RH, le juridique, l’innovation, …). L’idée était de constituer un noyau-cœur pour construire les premiers pas. C’était intense : nous avions rendez-vous toutes les semaines, faisions beaucoup de veille, de partage, de diagnostics, d’états des lieux … Nous avons rencontré tous les directeurs métiers. Nous ne partions pas d’une feuille blanche. Certaines activités avaient déjà été engagées sous l’impulsion réglementaire, d’autres n’étaient pas catégorisées comme entrant dans une démarche RSE …

Cet état des lieux nous a permis de construire une matrice de maturité en fonction de l’état d’avancement, du degré de priorité et aussi de la motivation des équipes pour engager une transformation.  C’est ce qui nous permet de doser et prioriser le besoin en accompagnement. C’est notre feuille de route, adoptée en novembre 2021. En 2022, l’équipe s’est enrichie d’une deuxième personne. Puis, le Groupe a créé une direction dédiée à la RSE, positionnée au même niveau que les autres directions. C’est un vrai pas pour légitimer la démarche à un niveau stratégique pour le groupe. 

5 feuilles de route  en cours de déploiement

Pour 2023, la priorité est donnée aux métiers dont l’impact est le plus important et nous avons 5 axes prioritaires. L’accompagnement des métiers, adapté selon leur priorité et leur degré d’impact …

  • La communication interne, la sensibilisation et la formation 
  • La définition de la Raison d’Être et des engagements qui en découlent dans les axes stratégiques du groupe
  • La création d’un réseau de référents RSE dans chacun des métiers et sur chacun des territoires,  
  • La réalisation du bilan carbone des 17 sociétés du groupe, consolidé à l’échelle groupe, qui deviendra le point de référence. C’est une obligation légale mais nous avons choisi de le faire dans un format beaucoup plus complet. 

Quick win et travail de fonds

Le document qui donne la photographie objective de départ est le DPEF (Déclaration des Performance Extra-Financière).  Pour éviter le greenwashing, il est très important d’avoir des indicateurs précis, pour mesurer l’évolution de manière concrète et transparente. Construire tous nos points de référence : on en est à ce stade aujourd’hui. Ce n’est pas forcément très sexy ni très communicant mais il me semble que c’est un socle indispensable. 

De la même façon, nous travaillons sur deux temporalités : des actions très concrètes – les quick win, et les sujets stratégiques plus lourds. Le sujet central est bien sûr la réduction des émissions de GES. Nous avons une problématique assez impactante avec le transport et la logistique. Nous livrons à la fois aux points de vente et à domicile. C’est lourd mais il ne faut pas oublier la dimension sociétale. C’est un service qui crée du lien social, pour notre lectorat sur tout le territoire rural de Centre France.

Focus  Club Open Inno & Impact – Le Circular Canvas

Adeline Vitrolles et Raphael Poughon font partie du Club Open Inno & Impact du Connecteur. Cette quatrième saison, animée par Eric Perrot pour la partie « apport méthodologique », est orientée sur les questions d’impact. Elle est appuyée sur la prise en mains des méthodologies de l’économie circulaire. Pour Eric Perrot, ‘rien ne vaut la mise en application concrète pour s’approprier pleinement une nouvelle méthodologie’. Aussi chaque séance prend appui sur un cas concret. En janvier, les problématiques amenées par le Groupe Centre France La Montagne ont servi de terrain d’expérimentation au Circular Canvas. 

  • Scénario 1 : tension sur la ressource. “En 2 ans, le prix du papier journal a bondi de 400 à près de 1 000 € la tonne […] Face à ce constat, la direction du Groupe Centre France vous demande de réfléchir à un plan d’actions afin de réduire le risque”.
  • Scénario 2 : collecte et valorisation des déchets “ Le Groupe Centre France lance un test pour récupérer, via les porteurs salariés, une fois par semaine les journaux lus ou non utilisés. Les porteurs recevront une prime en fonction du poids de déchets collectés. La direction du Groupe Centre-France vous demande de réfléchir à un plan de valorisation de ces nouveaux déchets.”

Transition : passer en mode systémique

Par rapport au BMC traditionnel, l’exercice consiste à repenser son modèle économique en passant d’une pensée linéaire à une boucle systémique. Il faut aussi intégrer les utilisateurs et l’écosystème des parties prenantes. Identifier tous ceux qui peuvent être impactés. Il met en évidence la nécessité d’identifier les impacts clés, positifs et négatifs. Mais aussi de  mesurer la consommation des ressources et enfin, d’intégrer une réflexion sur l’usage suivant. Son intérêt réside dans la redéfinition d’un modèle économique avec les principes de l’économie régénérative.

Appliquée aux problématiques du groupe Centre France, la méthodologie, enrichie par la dynamique collective,  a permis de repenser certaines hypothèses que nous avions commencé à travailler ou d’imaginer de nouveaux scénarios circulaires plus vertueux. Les regards des membres du Club Open Innovation, distants de nos enjeux quotidiens, sont extrêmement riches et précieux pour nourrir nos réflexions en prenant un pas de côté.

Le Connecteur : Les médias ont [aussi] un rôle crucial dans la perception qu’a le public du changement climatique, sa compréhension et sa volonté d’agir, soulignait le Giec dans son rapport d’avril 2022.  Sur la dimension éditoriale aussi il y a beaucoup à faire. Il y a eu quelques coups de gueule qui ont marqué une accélération dans les prises de positions des médias récemment. Je pense à la charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence climatique. L’avez-vous signée ?

Notre principal enjeu reste d’informer nos lecteurs sur ce que les sociétés traversent, dont les crises actuelles : climatique, énergétique etc. Nous avons engagé un travail de fond sur plusieurs axes. D’abord la formation des journalistes. Pour traiter un sujet, en cherchant à analyser son impact, il faut un socle scientifique plus important, il faut maîtriser le vocabulaire et être en capacité de vulgariser. Nous avons organisé des séances de Fresque du climat, développé des modules en partenariat avec ESJ Pro et aussi constitué un groupe de journalistes « experts » climat. L’idée étant d’avoir un pool de journalistes ‘ressources’, connectés à des réseaux et à des scientifiques. Ils n’ont pas le monopole de l’écriture mais peuvent être de bons relais pour leurs collègues. 

Une charte interne

Nous avons également adopté des règles communes de traitement-en tonalité et en iconographie- … de l’actualité. L’exemple déclencheur qui a défrayé la chronique c’est celui du traitement de la vague de chaleur. Des images de plages ne peuvent plus illustrer la canicule.

Nous n’avons pas signé la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique . Pas parce que nous ne serions pas en accord mais parce que nos métiers ont des spécificités. Nous avons engagé la définition de notre raison d’être, notre charte en découlera. Elle sera adaptée à nos ambitions. 

Enfin, nous publions notre rapport d’impact en faisant apparaître clairement ce qui a fonctionné et inversement. Nous publions aussi notre baromètre sur l’indice de confiance, de fiabilité de l’info… C’est un exercice de transparence et d’autocritique que nous assumons pleinement.

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